"Nous ne souhaitons pas vous laisser mettre en place un système permanent de pouvoirs exceptionnels". Voici comment le sénateur Philippe Bas (LR), rapporteur de la mesure visant à empêcher le Premier ministre de fermer les établissements recevant du public, résume le bras de fer qui oppose la chambre haute du Parlement français à l'exécutif dans la lutte contre l'épidémie de Covid-19.
Ainsi, la mesure votée par ses collègues dans la nuit du mardi 13 au mercredi 14 octobre 2020 va à l'encontre de la volonté du gouvernement. Le projet de loi du gouvernement table sur une prolongation du régime transitoire imposé à la sortie de l'état d'urgence sanitaire de 5 mois, jusqu'au 1er avril. Le Sénat préfère limiter le statut au 31 janvier, pour une période de 3 mois. Une ordonnance qui attribue tout un tas de pouvoirs exceptionnels au chef du gouvernement, comme la fermeture des bars, restaurants, discothèques, et tout autre établissement recevant du public (ERP); mais aussi la limitation du droit de manifester, la création de fichiers informatiques sanitaires, et la régulation de la circulation des citoyens.
Si l'issue du vote de la mesure peut surprendre, les sénateurs expliquent leur décision par les incertitudes entourant l'aspect démesuré des mesures restrictives à venir. Pour la sénatrice EELV de Paris, Esther Benbassa, "les droits excessifs confiés au Premier ministre, aux préfets et aux administrations n'ont que trop duré", rapporte Public Sénat. Une position partagée par la sénatrice socialiste d'Île-de-France Marie-Pierre de la Gontrie, qui martèle "non à la fermeture, oui à la réglementation". Même son de cloche dans la partie droite de l'hémicycle, avec le sénateur LR Serge Babary, qui défend lui la réouverture des discothèques en tant que bars ou restaurants, ou de la part de Michel Savin, en faveur de la réouverture des salles de sport "pour les personnes avec une prescription médicale".
Ce qui n'a pas manqué de déclencher la colère du ministre de la Santé, Olivier Véran. Le médecin a d'abord remarqué, sans dissimuler son exaspération, que la mesure était adoptée malgré "la situation sanitaire extrêmement instable", comme pour rappeler une réalité difficile à digérer. Sans manquer de parler au nom du gouvernement : "(l'exécutif) prend acte du vote du Sénat, qui, s'il était confirmé à l'issue de la navette parlementaire, impliquera la réouverture de l'ensemble des ERP".
D'ailleurs, si le ministre de la Santé évoque la navette parlementaire, c'est aussi pour rappeler que pour l'heure, le vote de cette mesure en faveur des bars et discothèques est pour l'instant uniquement symbolique. Le rapporteur de l'amendement a par la suite demandé une seconde délibération au Sénat, quand la navette parlementaire prévoit également une relecture et un vote par l'autre chambre parlementaire, l'Assemblée nationale. À majorité LREM, comme on le sait. Une jacquerie du Sénat qui ne serait qu'un coup d'épée dans l'eau ? Ce sera d'abord à eux d'en décider, une nouvelle fois. Puis aux députés de choisir définitivement. En attendant les annonces du président de la République, au soir du mercredi 14 octobre 2020.