Emmanuel Macron, Jean Castex... Le gouvernement l'a dit et répété : il nous faut apprendre à « vivre avec le virus sur le temps long », selon les mots du Premier ministre, prononcés le 14 novembre 2020 lors d'une conférence de presse. Vivre avec la Covid-19, plutôt que de chercher à s'en débarrasser définitivement, tel est le plan pour le moment ; en France comme dans de nombreux pays européens et nord-américains.
Ainsi, le gouvernement tente de vacciner le plus de personnes, le plus rapidement possible. L'idée d'un troisième confinement est repoussée pour ne pas pousser le pays plus loin dans la crise économique et sociale qui a accompagné la pandémie. Des choix qui exaspèrent certains experts.
Le Monde a interrogé Yaneer Bar-Yam, physicien et président de l’Institut des systèmes complexes de Nouvelle-Angleterre (Necsi) à Cambridge (Massachusetts). Ce scientifique travaille depuis plus de 15 ans sur les épidémies. « Vivre avec le virus ? Dès que vous dites cela, vous faites des compromis, vous tombez dans le fatalisme. La conséquence, c’est que vous ne choisissez pas d’agir », explique-t-il, catégorique.
Le physicien a créé le site Endcoronavirus.org, qui regroupe de nombreux experts qui refusent de laisser le virus s'installer durablement dans nos vies. Ils ont pensé une stratégie dite « zéro Covid » : grâce à des mesures strictes, ils pensent pouvoir débarrasser un pays du virus en seulement quatre à six semaines. Leur méthode : un confinement strict, suivi d’un contrôle ferme des nouveaux foyers par l’application du triptyque « tester, tracer, isoler » (TTI), et d’une ouverture conditionnelle des zones exemptes de virus.
Yaneer Bar-Yam montre en exemple certains pays d'Asie et du Pacifique, qui ont appliqué avec succès la stratégie "zéro Covid", et qui profitent aujourd'hui d'une « vie ordinaire dont nous avons oublié ce qu’elle était, tellement notre esprit est concentré sur les défis du présent. » L'Australie, l'Islande, la Nouvelle-Zélande, le Cambodge, Taïwan, le Vietnam... Tous ces pays sont en train de battre le virus, selon le physicien.
Ce mode de pensée fait des émules. Japon, Allemagne, Royaume-Uni, Irlance : cette stratégie est poussée dans le débat public, dans les instances gouvernementales. Dans l'édition du 8 février du British Medical Journal, les scientifiques affirment que « le Japon devrait viser l’élimination du Covid-19 [et procéder à un] changement vital de stratégie qui requiert du leadership, de la transparence, et une science robuste. » En Allemagne, c'est le journal Die Zeit qui loue cette stratégie en publiant les résultats d'une réflexion commune de virologues, de sociologues, de spécialistes de santé publique et de politistes. Le débat a fait rage et a même suscité une intervention de la chancelière Angela Merkel.
Une stratégie viable pour tous les pays ?
Yaneer Bar-Yam peut également se targuer d'avoir à ses côtés une figure d'autorité : l’épidémiologiste néo-zélandais Michael Baker, dont la stratégie de lutte contre le virus permet à la Nouvelle-Zélande aujourd'hui de vivre normalement, sans cas et sans masque.
Comment fonctionne cette stratégie exactement ? L'objectif est d'« écraser » plutôt « qu’aplatir » la courbe des contaminations. Pour cela, il faut mettre en place un confinement strict, semblable à celui que l'on a connu en France en mars 2020. Lorsque l'on atteint un taux d'incidence faible, situé à 10 cas pour 100 000 habitants, on peut adapter le contrôle de la circulation du virus. Contrôle des frontières, limitation des rassemblements, masques, « tester, tracer, isoler »… Plusieurs niveaux de restrictions peuvent être imposés ou levés.
Tomas Pueyo, qui intervient également en faveur de la stratégie "zéro Covid", estime qu'« aucune mesure n’est suffisante à elle seule, mais en combinaison cela fonctionne à la manière de plusieurs couches trouées de fromage suisse que l’on superpose et qui ne laissent rien passer. »
Ainsi, les autorités doivent conserver une vigilance constante. La troisième étape de cette stratégie permet de faire passer les régions d'un pays de "rouge" à "vert", déterminant ainsi quelles sont celles qui peuvent retrouver une activité normale. Cependant, il faut être prêt à réappliquer des mesures locales fortes et de courte durée, afin de contrer d'éventuelles résurgences du virus.
Beaucoup font valoir que cette stratégie n'est adaptée que pour les petits pays isolés comme la Nouvelle-Zélande, qui est souvent montrée en exemple. Un reproche que Yaneer Bar-Yam retourne contre ses détracteurs : « L’Irlande et la Grande-Bretagne, qui sont des îles, n’ont aucune excuse ! »
Concernant le côté autoritaire et liberticide de cette démarche, Tomas Pueyo pense qu'il peut être justifié si les résultats sont là. « Les gouvernements ont déjà contraint les gens à rester chez eux plusieurs semaines. Cela sera acceptable si on dit qu’après ce sera fini », argument-t-il. Et lorsque l'on parle du coût d'un nouveau confinement, Yaneer Bar-Yam sait également répondre : « Des confinements locaux et de courte durée valent mieux que la situation actuelle. »
La stratégie "zéro Covid" en France
La France va-t-elle mettre en place cette stratégie pleine de promesses pour mettre fin à l'épidémie de coronavirus et de ses variants ? Selon des experts, ce cas de figure est peu probable. L’épidémiologiste Mahmoud Zureik (université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines) explique au Monde que « théoriquement, cette stratégie est la bonne. C’est un modèle très séduisant : tant que vous maîtrisez 1 000 cas, vous maîtrisez l’épidémie. »
Cependant, le scientifique ne voit pas comment ce modèle pourrait être appliqué en France actuellement. « Si on se lançait maintenant, on irait à l’échec, car on n’a pas tiré les leçons de notre incapacité à tester, tracer, isoler efficacement, pour vraiment réussir la sortie du confinement. Si on ne s’y prépare pas dès maintenant, on n’aura qu’une accalmie de courte à moyenne durée. Le timing est essentiel : il faudrait aussi avoir vacciné suffisamment de gens vulnérables pour y aller, soit plutôt en avril qu’en mars », estime-t-il.
Même avis du côté du Conseil scientifique. Arnaud Fontanet, médecin épidémiologiste à l'Institut Pasteur, s'est contenté de dire que ce plan est « un peu trop éloigné des arbitrages en cours. Sujet intéressant au demeurant. »