Au Forum des Images, chaque mois, un cinéaste ou un comédien renommé s’entretient avec le critique Pascal Mérigeau et évoque, images à l’appui, son parcours, ses aspirations artistiques, sa vision du monde.
Ce mois-ci, c'est Jean-Pierre et Luc Dardenne qui sont à l'honneur, mercredi 3 mars à 19h30.
De film en film, Jean-Pierre et Luc Dardenne construisent avec rigueur une œuvre unique, d'une profonde humanité. La quête de la bonne distance est au cœur de leur écriture et de leur mise en scène cinématographique. Tout un art de l'évitement pour ne pas céder à l'excès dramaturgique, au suspense artificiel qui pourraient briser le fragile équilibre.
Deux Palmes d'or à Cannes (Rosetta/1999 et L'Enfant/2005) et un prix du scénario (Le Silence de Lorna/2008) sont déjà venus récompenser l'œuvre familiale, auxquelles s'ajoutent le prix d'interprétation féminine pour Émilie Dequenne dans Rosetta et celui d'interprétation masculine pour Olivier Gourmet dans Le Fils.
Dignes héritiers du "père du documentaire belge" Henri Storck - à qui ils rendirent hommage en recevant à Cannes leur première récompense -, les frères Dardenne portent en eux l'héritage de la grande tradition wallonne du film social, du territoire à observer (Liège et sa région pour leur part), du souci de réalisme et de l'engagement auprès des plus vulnérables, des plus exposés.
Leur cinéma, minimaliste et percutant, trouve ses racines dans le travail de terrain accompli au début des années 70, lorsqu'ils rencontrent le scénariste, réalisateur et metteur en scène de théâtre Armand Gatti.
Ce dernier les ayant initiés à la vidéo, les deux frères réalisent des documentaires dans les cités ouvrières de Wallonie et sur la résistance antinazie.
Ils tournent leur premier long métrage de fiction en 1987. Adapté d'une pièce de René Kalisky, Falsch retrace l'histoire de l'unique survivant d'une famille juive exterminée lors de la Shoah.
Leur deuxième opus, Je pense à vous, centré sur un père de famille prolétaire au chômage, est proposé cinq ans plus tard.
En observateurs lucides des outrances de leur époque, ils réalisent La Promesse en 1996 qui met aux prises un fils (Jérémie Renier) et son père (Olivier Gourmet) qui exploite des sans-papiers. Ce thème de l'immigration clandestine et des trafics d'êtres humains, ils le traitent à nouveau dix ans plus tard dans Le Silence de Lorna ; un beau portrait de femme qui renvoie lui-même à Rosetta, la jeune chômeuse obstinée dans son entreprise de survie (inoubliable Émilie Dequenne) qu'ils filment caméra à l'épaule. La précarité sociale, économique, affective de Rosetta devient la nôtre.
Sa souffrance intériorisée, sa solitude trouvent un pendant masculin avec Le Fils (2001), porté par la performance d'Olivier Gourmet.
Là est tout le talent des frères Dardenne : effacer l'écran entre l'acteur et le spectateur. Nulle concession, nul artifice dans leur cinéma. De l'art brut, où tout est toujours question de survie, de dérives (c'est le nom de leur première société de production !) incontrôlées qui jettent l'effroi (Jérémie Renier alias Bruno vend son fils dans L'Enfant) pour mieux pointer du doigt les maux de nos sociétés modernes et l'échec de notre civilisation.
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