Son émotion était palpable, pendant la remise de son prix d'interprétation, lors de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes. Zar Amir Ebrahimi a ébloui le jury de la 75e édition avec son rôle dans Les Nuits de Mashhad, d'Ali Abbasi. Un rôle fort dans un film qui l'est tout autant, sur la place de la femme en Iran, à travers l'histoire d'un tueur en série qui s'en prend aux prostituées. Ce rôle, celui d'une journaliste qui mènera sa propre enquête pour le retrouver, fait un peu écho à la vie de l'actrice. Grande star en Iran dans les années 2000, elle a été forcée de quitter le pays, après un scandale sexuel. Nous l'avons rencontrée quelques jours après son sacre, voici son interview.
Les Nuits de Mashhad d'Ali Abbasi avec Zar Amir Ebrahimi : critique, bande-annonce et invitations
Plongée dans l'Iran du début des années 2000 avec "Les Nuits de Mashhad". Le nouveau film d'Ali Abbasi ("Border") retrace l'histoire vraie du tueur araignée, qui a sévi dans la ville sainte en tuant des prostituées. L'actrice Zar Amir Ebrahimi a été récompensée du prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes 2022. Le film sort en salles le 13 juillet 2022. Participez au jeu-concours en bas de l'article pour tenter de gagner votre invitations. [Lire la suite]
Sortiraparis : L'émotion est-elle retombée depuis votre prix d'interprétation à Cannes ?
Zar Amir Ebrahimi : Je commence à comprendre tout ce qui s'est passé. Je suis sur un nuage et je ne me suis pas encore réveillée. C'est dingue. Je l'ai perçu comme un grand message d'encouragement, on m'a donné l'opportunité d'être vue, d'être entendue, comme la personne que je suis et non comme une actrice. Ça donne une immense valeur à tout ce que j'ai vécu, tous les efforts que j'ai fait.
C'est une récompense très symbolique, quand on connaît votre histoire.
Je sais que ça sera jugé comme un prix politique, mais j'ai eu de nombreux retours pendant le festival. Je sais que ce film les a touché et que le rôle leur a parlé. Je rigolais quand on me disait que je recevrais le prix, je pensais que ce serait impossible... Quand je vois toutes les comédiennes qui auraient pu l'avoir, ça m'encourage forcément. Tout ce que j'ai fait, ce n'est pas pour rien.
Comment s'est déroulée la rencontre entre le réalisateur Ali Abbasi et vous ?
C'était complètement par hasard. Des amies productrices m'ont parlé de lui et de ce projet. Nous nous sommes rencontrés à Paris, il m'a parlé du projet et m'a expliqué qu'il cherchait un directeur de casting qui connaissait bien les actrices iraniennes, pour le rôle de cette journaliste. J'étais critique envers le cinéma iranien de la diaspora. Tous les acteurs iraniens qui vivent en Europe sont mes amis et ils sont très talentueux, mais il y a toujours cette volonter de s'adapter au public non-iranien. On s'est tout de suite bien entendus avec Ali. On était sur la même longueur d'ondes et on avait la même exigence. Je suis même devenue productrice associée. J'ai adoré ce rôle dès le début. Mon travail de directrice de casting m'a poussée à bien le connaître et y travailler. Ali m'avait même fait passer le casting, mais je n'avais jamais pensé à l'incarner moi-même. Une semaine avant le tournage, l'actrice qu'on avait choisi a dû laisser tomber, et on n'a trouvé personne pour la remplacer. Ali m'a alors proposé de jouer le rôle. J'avais beaucoup travaillé dessus, j'avais des idées, des subtilités, j'avais façonné ce personnage en y mettant de ma vie personnelle.
On peut voir dans ce rôle votre réponse à l'Iran, après tout ce que vous y avez vécu.
Oui, je crois. C'est une fille qui se bat. On veut retirer sa voix, mais elle ne le permet pas. Elle a du mal dans son travail. Elle subit du harcèlement sexuel, le gouvernement est contre elle. Même son collègue ne veut pas l'accompagner. J'ai beaucoup cherché les motivations qui ont pu la pousser à risquer sa vie à ce point. J'ai fini par me voir moi-même dans ce rôle. Quand on est dans une société religieuse, certains comportements sexistes se mettent en place, surtout quand tu es une femme journaliste. Ces situations de harcèlement, je les connais très bien, et je les ai encore plus connues lors de ma dernière année en Iran.
Vous pensez que Les Nuits de Mashad sera vu en Iran ?
Bien sûr ! C'est le film le plus attendu. Bien sûr, ça sera sous le manteau, comme toujours.
Vous seriez prête à reprendre une carrière en Iran, si vous en avez la possibilité ?
C'est tellement impossible [rires]. Je ne sais pas dans quelles conditions cela puisse arriver. Soit l'Etat iranien change complètement d'avis sur les femmes, sur le cinéma, sur tout. Depuis que je vis ma vie en France, j'ai beaucoup plus de libertés, je joue dans plus de films, ça n'arrange pas mon cas aux yeux du gouvernement iranien.
Et une carrière française, ça vous intéresserait ?
Oui bien sûr. Je vis à Paris, tout se passe ici pour moi. J'ai l'impression que c'est même tard pour commencer une carrière. J'ai tout donné, mais le cinéma français est assez fermé. Il y a un problème avec les rôles qu'on me propose en France, ce sont toujours des immigrés, des victimes de l'immigration. Je ne vais pas dire que je ne suis pas immigrée, ni que ces victimes n'existent pas, mais il y a aussi des aspects plus positifs. Je n'ai pas envie de refaire toujours le même genre de rôle.
Et si vous avez envie de découvrir le film, rendez-vous au cinéma dès le 13 juillet !
Âge recommandé
Tout public