C'est sans doute l'un des plus beaux films de l'année, mille fois au-dessus de tout ce que l'on peut voir habituellement. Leopardi - Il Giovane Favoloso est un biopic grandiose signé Mario Martone, hommage vibrant et complet à l'un des plus grand poètes de l'humanité, à (re)lire de toute urgence. Giacomo Leopardi était un homme monstrueux, resté vierge toute sa vie et mort d'avoir mangé trop de sucreries. Mais surtout, au-delà de l'anecdotique, il a écrit des vers absolument somptueux, attentifs à l'infime et amoureux de l'Italie. Le comédien Elio Germano l'incarne avec une force inoubliable... Nous l'avons interviewé.
Sortir à Paris : Giacomo Leopardi est un personnage qui a une très grande force psychologique : comment vous-êtres vous préparé ?
Elio Germano : J’ai eu la chance d’étudier, comme je ne l'’avais jamais fait, Leopardi – qui est aussi connu que Dante en Italie. J’ai eu trois, quatre mois pour l’étudier. Je n’avais pas envie de jouer, j’avais envie de continuer ce travail-là. Quand tu rentres dans ce personnage, dans son monde, tu découvres des choses de toi. Ces quatre mois d’étude sont ce que je me rappelle avec le plus de plaisir.
Sortir à Paris : Vous alliez en bibliothèque ?
Elio Germano : Dans les livres, avec les spécialistes, avec les héritiers, dans sa maison… C’était un vrai cadeau, une vraie chance. Je ne pensais même pas au tournage, je ne pensais qu’à le connaître. Après, j’ai senti le tournage comme une violence.
Sortir à Paris : Une violence, pourquoi ?
Elio Germano : Parce que… de lui donner une forme était difficile. Il y a quelque chose qui se passe entre toi et le texte qui relève d’un jeu d’imagination. Leopardi voulait parler de toutes les choses qui ne sont pas choses : quand tu rêves de quelque chose, quand tu sens quelque chose, quand tu aimes… Toutes les choses qui se passent dans l’immatériel. Et donner une forme à la personne qui voulait détruire toutes les choses était une forme de violence. Chacun l’imagine à sa manière et c’était une violence sur l’imaginaire que l’on se fait de lui.
Sortir à Paris : Vous sentez-vous proche de lui ? Vous créez vous aussi, vous faites de la musique, du rap…
Elio Germano : Mais c’est fou, ici en France tout le monde sait que je fais de la musique, mais en Italie personne ne le sait ! C’est quelque chose que je faisais dans les squats… Cela n’a rien à voir avec Leopardi mais c’est une vengeance : d’être obligé de dire les mots des autres est un moyen de dire mes mots. C’est une façon de communiquer plus directe.
Sortir à Paris : On sait que Leopardi était d’une grande laideur. Vous avez du porter une prothèse pour sa bosse, mais avez-vous essayé de prendre un visage particulier ?
Elio Germano : On a voulu montrer sa maladie (il était vraiment monstrueux) mais il avait une voix très fine, très douce. Ses mots enchantaient tout le monde. C’est un double aspect : un monstre charmant. Les mots qu’il choisit sont des mots particuliers, anciens. C’est sans doute l’homme qui a le plus étudié de toute sa vie : à treize ans, il savait parler Français, Anglais, Espagnol, Latin, Hébreu, Sanskrit… Il a vécu dans sa bibliothèque jusqu’à ses vingt ans. Il était, malgré sa monstruosité, quelqu’un qui pouvait enchanter. Alors j’ai essayé de jouer avec ça. Il avait une bosse que l’on connaît tous et il se tassait au fil des années, c’est pourquoi je me courbe de plus en plus dans le film. On a choisi trois bosses différentes pour je sois plus naturel, pour jouer avec la bosse, pour montrer comment il pouvait essayer de se montrer sans bosse.
Sortir à Paris : Trois bosses pour trois âges différents : est-ce difficile de passer de la jeunesse à la vieillesse ?
Elio Germano : On a voulu montrer un Leopardi sans âge. Quand il est mort, c’était encore un enfant. C’est plutôt la maladie qui l’a changé.
Sortir à Paris : La bosse représente la maladie qui grandit…?
Elio Germano : Oui. Il avait un monde fou dans la tête, des personnages… Le fait d’être en difficulté dans son corps était une manière de vivre plus dans sa tête, dans son imaginaire.
Sortir à Paris : Est-ce qu’il vous habite encore ?
Elio Germano : Ah oui ! Récemment, on m’a demandé de lire Le Genêt (NDLR : sans doute le plus beau poème de Leopardi) : chaque fois que je le lis, je découvre autre chose. Quand tu changes, le poème change avec toi.
Sortir à Paris : Et, une dernière question pour nos lecteurs parisiens : quel est votre endroit préféré à Paris ?
Elio Germano : Je connais mal Paris… Mais je peux dire quelque chose. Il y a un endroit qui m'a fait vraiment peur à Paris : Châtelet-Les Halles. Je me suis senti perdu dans un dédale, sous terre, sans savoir où était la sortie…
Informations pratiques :
Leopardi - Il Giovane Favoloso
En salles le 8 avril 2015