Avant de découvrir notre interview d'Anna Muylaert, jetez un œil à notre critique du film et à sa bande-annonce :
Sortir à Paris : Quelle est l’origine du film Une Seconde mère ?
Anna Muylaert : J’ai réalisé à quel point le fait d’éduquer les enfants était tabou et à quel point ce n’était pas valorisé dans la société brésilienne. Personne ne veut prendre soin de ses enfants, tout le monde veut trouver une nounou, alors que c’est le plus beau travail que l’humanité puisse faire. Ce paradoxe a donc attiré mon attention. Même les nounous laissent leurs enfants à quelqu’un d’autre… Alors j’ai pensé à une histoire qui parlerait d’éducation, de la société, de l’affection : j’ai pensé que c’était ce qui pouvait parler de tous les problèmes brésiliens… Et ça, c’était il y a vingt ans.
Sortir à Paris : Pourquoi pensez-vous que cela parle de tous les problèmes brésiliens ?
Anna Muylaert : Parce que je pense que l’éducation est le plus gros problème brésilien. L’école n’est pas bonne. Seule l’élite profite de bonnes écoles, mais les autres enfants ne vont pas dans ces bonnes écoles ; les professeurs sont mal payés, parfois les enfants restent sans professeur pendant une semaine. C’est impossible de construire une nation si la plupart des gens ne bénéficient pas d’une bonne éducation. La seconde chose, c’est que, comme l'éducation n’est pas valorisée, le futur semble n’être que la continuité du présent, comme si tout allait rester pareil. Je pense que cela vient de la colonisation par les Portugais : ils sont venus au Brésil, pas pour construire une nation, mais pour l'or. Donc, les Brésiliens ne pensent pas à l'éducation, ils ne pensent qu'à eux-mêmes. C'est le mauvais côté du Brésil. Le bon côté est le football, la gentillesse apparente, et cela vient des couches populaires, qui ne sont, encore une fois, pas valorisées.
Sortir à Paris : Un des meilleurs éléments du film est le jeu naturel des acteurs : comment avez-vous travaillé avec eux, et notamment avec Regina Casé (actrice célébrissime au Brésil - ndlr) ?
Anna Muylaert : J'ai choisi des acteurs qui peuvent créer. Qui aiment créer. Regina crée. J'aime inviter les acteurs à l'improvisation : je leur donne des dialogues mais je leur demande de ne pas les utiliser, d'utiliser leurs propres mots. Je voulais donc qu'ils donnent toujours plus. En général, au début de la journée, je changeais tout : donc ils avaient peur, n'étaient pas à l'aise, et s'apprêtaient à faire des choses dont ils ne savaient rien. Je parie sur l'insécurité, je parie sur le fait qu'ils peuvent se surprendre eux-mêmes et me surprendre moi.
Sortir à Paris : Le meilleur moment du film est sans doute la scène où Val pénètre pour la toute première fois dans la piscine de la famille bourgeoise ; la scène était-elle improvisée ?
Anna Muylaert : Oui. Cette scène était drôle à tourner car Regina ne voulait pas la faire. Toute la journée, car nous avons tourné le soir, elle me disait : "nooon", et je lui disais : "tu vas la faire", donc elle allait en parler à d'autres gens autour de moi et j'entendais ses plaintes. Elle avait peur. Mais j'insistais. Alors le soir (c'était son dernier jour), lorsqu'elle est arrivée, elle était nerveuse. Je l'ai rassurée. Et alors, elle est entrée dans la piscine, et quand je l'ai vue marcher dans l'eau, je me suis dit : "ça va être génial, ça c'est une proposition." Et elle-même ne savait pas ce qu'elle était en train de faire... Et tout le monde a applaudi.
Sortir à Paris : Et quel est votre meilleur souvenir du tournage ?
Anna Muylaert : Oh, c'était tellement intense... Mon meilleur souvenir ? Sans doute le jour où on a tourné la scène du service à café (où Val offre à la mère bourgeoise un affreux service à café, que cette dernière refuse de servir à ces invités - ndlr). J'ai dit à Regina : "quand la mère part, tu regardes le cadeau..." et quand elle l'a fait, j'allais commencer à rire, puis je me suis dit : "wah, cette femme est vraiment géniale." Chaque jour, elle était meilleure, chaque jour, nous avions de très bonnes scènes et j'étais de plus en plus fière. C'était intense et, en plus, je me sentais vraiment fière.
Sortir à Paris : Que voulez-vous dire à la fin du film : est-ce que la fille sauve sa mère ?
Anna Muylaert : Je pense que le film a plusieurs niveaux d'interprétation. J'espère que les gens pourront y trouver des choses que je n'ai pas envisagées... Mais je pense à ce jeu où vous mettez 4 chaises pour 5 personnes et chacun doit essayer de trouver sa place : dans le film, personne n'est dans la bonne pièce, et petit à petit, chacun trouve sa place. Je pense que le film dit : "vivez votre vie, ne vivez pas celle de quelqu'un d'autre."
Sortir à Paris : Le film nous a rappelé des sentiments familiaux très intimes... Vous êtes-vous inspirée de votre propre histoire ?
Anna Muylaert : Oui, j'avais moi-même une seconde mère, dès mes 7 ans. Elle s'occupait surtout de ma petite sœur. Elle s'occupe d'ailleurs toujours des enfants de ma petite sœur. C'est comme dans le film : elle nous a donné sa vie. Elle n'a pas de famille. Et c'est quelque chose qu'enfant, je trouvais très bizarre : une fois, à l'école, le professeur m'a demandé de dessiner ma famille, et je ne savais pas si je devais la dessiner... Elle était là, mais elle n'était pas là de la même manière que mes parents. Je me demandais pourquoi cette personne était là mais ne pouvait pas être sur la photographie.
Sortir à Paris : Une dernière question pour nos lecteurs parisiens : quel est votre endroit préféré à Paris ?
Anna Muylaert : Saint-Germain-des-Prés ! Car j'ai habité là quand j'avais 18 ans, et c'est l'endroit que je connais le mieux.
Informations pratiques :
Une seconde mère
En salles le 24 juin 2015