Suite et fin de notre entretien avec Alioune Touré. Aujourd'hui, le joueur retrace sa carrière après la saison 2006-2007, une étape jusqu'alors méconnue : il est successivement question du Qatar, des Émirats arabes unis et de Chypre. Puis, ce véritable passionné nous livre sa conception actuelle du football et nous dévoile les projets qui l'animent.
Arrivé l’été 2007, le grand public vous perd de vue. Vous commencez alors vos pérégrinations sportives au Moyen-Orient. Quelle logique vous a conduit à ces choix de carrière ?
A l’intersaison 2007, des clubs espagnols, d’autres portugais, dont Leiria et Boavista, m’ont contacté. En 2005, je m’étais donné deux ans pour rebondir et, comme je n’avais pas de propositions sportivement intéressantes en 2007, j’ai joué au Qatar au cours de la saison 2007-2008. Comme quoi, tout est une question de timing et d’opportunités dans le foot. Au Qatar, j’ai vu que les méthodes de mon club, Al-Siliya, ne correspondaient pas à mes exigences professionnelles. Ce n’était pas le haut niveau, disons, c’était autre chose.
Je suis ensuite parti jouer à Dubaï [Ndlr: Émirat de la fédération des Émirats arabes unis] quelques mois à partir de juin 2008. Pendant cet été, j’ai suivi la préparation d’avant saison avec l’équipe de Dubaï Club, puis disputé quelques matches amicaux, mais je me suis vite aperçu que c’était le même fonctionnement qu’au Qatar, alors qu’on m’avait dit que c’était différent. J’ai donc décidé de partir en novembre.
A la fin de votre aventure au Qatar et aux Émirats arabes unis, vous avez connu des moments pendant lesquels vous n’aviez plus de club. J’imagine que ce genre d’épreuve a dû vous demander une force de caractère à tout épreuve. Comment un footballeur professionnel traverse-t-il ces périodes de flottement ?
Beaucoup de joueurs traversent des mauvaises périodes, les coupures de ce genre peuvent s’expliquer par des mauvais choix de carrière, des blessures : ce sont les aléas du métier. Comme je dis souvent, on peut maîtriser le terrain, mais pas ce qui se passe en dehors.
Pour ma part, cette coupure m’a permis de faire le point, de me resituer, je n’avais jamais connu de véritable coupure depuis l’âge de 13 ans. Ça m’a permis d’y voir clair, de prendre du recul, "de me vider de mes années", de souffler pour redémarrer de plus belle. J’ai réalisé que le plus important c’était de faire son métier correctement. Si on n’est plus motivé à l’entraînement, ce n’est pas bon, il y a comme une lassitude qui s’installe. Pendant ma période de transition, j’ai pris conscience que j’avais encore du jus.
Très tôt, on est conditionné, on est dans une sorte de bulle. Et, maintenant, je me suis dégagé de ce conditionnement, je parle plus sereinement. J’ai vu comment c’était "dedans" et comment c’était "dehors". J’ai acquis une vision plus globale : il y a quand même des problèmes plus graves que d’être sur le banc…
En fait, j’ai mesuré ma chance de faire ce métier. Je reviens de loin, tout n’a pas été facile, dès mon plus jeune âge j’ai toujours été confronté à la concurrence. J’arrive à présent à me situer, à maîtriser mon jeu. J’ai fait le bilan. Par exemple, même si je n’étais pas titulaire au PSG, j’ai mesuré la chance que j’avais de jouer dans ce grand club. Quand j’étais à Nantes, je rêvais de l’étranger, maintenant je m’aperçois qu’en France aussi on est bien.
Aviez-vous songé à raccrocher définitivement les crampons après votre pige aux Émirats ?
Je n’ai pas pensé à la retraite à ce moment-là. C’est juste qu’on est tous des êtres humains, on n’est pas des machines, chacun connaît des hauts et des bas, et pour moi c’est arrivé à cette période. Mais je suis fait pour le foot, depuis tout petit, je sais bien que je suis fait pour ça.
Je n’en ai jamais douté. Même après ma carrière de joueur, je me vois toujours dans le milieu du foot. Ce que ce sport m’a apporté, j’aimerais le retransmettre plus tard. Ce sera sans doute en travaillant auprès des plus jeunes en tant qu’entraîneur d’équipes de jeunes ou, pourquoi pas, comme recruteur d’espoirs en Afrique.
Début 2009, vous reprenez du service en signant à l’Olympiakos Nicosie, un club de seconde division chypriote. Pourquoi Chypre ?
A partir de novembre 2008, après mon départ des Émirats, je voulais revenir en France. Des clubs espagnols et anglais se sont un peu intéressés à moi, mais ils m’ont demandé de patienter. Moi, je m’étais fixé jusqu’à janvier 2009 avant de prendre une décision. Je ne voulais plus partir vers des destinations trop exotiques, je me suis préparé sérieusement, mais les clubs qui m’ont ensuite contacté ne m’attiraient pas vraiment. Là encore, c’est donc une question de timing : j’avais des contacts avec des clubs, mais je ne voulais pas non plus attendre indéfiniment, mon but c’était de jouer le plus vite possible. Dans ces situations, quand on est en attente de réponses, il faut être rapide. Si un coach d’un autre club européen était venu me voir en me disant "on compte vraiment sur toi", c’aurait été différent, il y aurait eu des chances que je refuse Chypre.
Mais, en janvier, quand je reçois la proposition ferme de l’Olympiakos, je me dis que c’est quand même en Europe, même si ça reste légèrement exotique. J’ai donc préféré signer là-bas, me préparer à Chypre, avec du recul, afin de revenir par la suite dans un bon club français, espagnol ou anglais.
A quel championnat du continent peut-on comparer la D2 locale ?
Sportivement, c’est moins fort que le championnat grec, c’est en en voie de développement on va dire. Mais, pour un si petit pays [Ndlr: 1,3 million d’ habitants], les gens sont vraiment passionnés de football, il y a beaucoup de clubs. Je devais au début signer dans un club de D1 locale, mais le quota d’étrangers était pratiquement atteint, et il n’y a aucune différence entre les deux premières divisions là-bas.
J’imagine que vous n’êtes pas parti à Chypre pour le seul appât du gain, est-il trop indiscret de vous demander une estimation de vos rémunérations mensuelles ?
On n’est pas malheureux, on n’est pas à plaindre. De toute façon, je suis là pour prendre du plaisir. Et, le jour où l’on estimera que je mérite de gagner des millions, je les gagnerai. Le football, c’est un métier, ça permet de vivre plus que convenablement, c’est vrai; mais, à la base, on joue par plaisir. Une fois que le plaisir s’est évaporé, c’est fini. Voilà pourquoi je raisonne plus en termes de prestations sur le terrain que de salaire. Normalement, le plaisir fait qu’on oublie tout les aspects extra-sportifs. Quand on reste trop près de l’aspect financier, on se perd. Ce n’est pas parce qu’un joueur sera énormément payé qu’il sera plus performant sur le terrain.
Il y a quelques années encore, on se concentrait plus sur l’essentiel et, si le salaire suivait, c’était tant mieux. Maintenant, on a tendance à mettre la charrue avant les bœufs. Or, pour moi, les émotions que j’ai vécues à Nantes ou à Paris, ça n’a pas de prix. On ne peut pas acheter ce genre de souvenirs. Je retiens ces moments de groupe exceptionnels, ce sont ces moments-là que je veux revivre.
On oublie trop souvent que le foot se joue à onze, on individualise un peu trop ce sport qui reste pourtant un sport de groupe. A Paris, par exemple, je suis content du peu que j’ai joué, car je peux me dire que j’apportais ma pierre à l’édifice. Aujourd’hui, je suis content, je suis heureux de ma carrière. J’ai des trophées, c’est ce qui compte le plus pour un sportif. A quoi bon faire 60 matches et marquer 35 buts si on ne gagne aucun trophée à l’arrivée ?
Vous qui résidez à Chypre, comment se passe la vie entre les communautés turque et grecque de l’île. S’agit-il toujours d’une question sensible?
Apparemment ça se passe bien, il n’y a pas de problème à la frontière qui sépare les deux parties de l’île. Moi, je vis dans la partie grecque de l’île.
Vous êtes lié à l’Olympiakos jusqu’à la fin de l’exercice en cours. Quelle nouvelle expérience seriez-vous prêt à tenter sur le terrain ?
J’ai envie d’un dernier challenge, de remontrer ce que je vaux, de revenir là où j’ai déjà évolué, de revivre les émotions que j’ai connues dans le passé, de gagner des trophées, des championnats. Que ce soit en France, en Angleterre, en Espagne, au Portugal... Je veux clôturer ma carrière de belle manière.
Si on fait le bilan, au début de ma carrière, j’étais un peu pressé, un peu fougueux. Avec le temps, j’ai appris à me canaliser, à apprécier mon métier. A Chypre, je sens que ce n’est pas le même piment, pas le même picotement, qu’en France. Je veux m’engager dans des challenges qui me correspondent plus, et ne plus aller dans des pays exotiques.
Dans une carrière, les joueurs oublient souvent le "pourquoi", ce qui les a poussés à taper dans un ballon. Moi, je suis revenu aux bases. Au tout début, quand j’étais à Nantes, je voulais exploser très vite au plus haut niveau. Maintenant, j’ai réalisé qu’il y avait un temps pour tout.
Le plus dur, c’est de s’inscrire dans la durée. Les vraies carrières, ce sont celles qui commencent à 16 ans et qui se finissent à 34 ans. J’ai pris une sorte de pause pour mieux repartir dans ma carrière. Je veux montrer que je suis là.
Interview réalisée par Adrien Pécout en exclusivité pour PlanetePSG.com.
Un grand merci à Alioune Touré pour sa disponibilité et l'intérêt de ses propos.