Coup de théâtre à la Comédie-Française : prenant ses distances avec son administrateur, la troupe de Molière a "décliné" jeudi, au moins provisoirement, la proposition de s'implanter à la MC93 de Bobigny, signe du malaise que ce projet suscite dans les milieux théâtraux.
L'affaire a fait grand bruit dès la semaine dernière, quand la presse a relayé le vœu de l'administrateur général de la Comédie-Française, Muriel Mayette, de "rapprocher" le premier théâtre de France d'une scène de banlieue, en l'occurrence la MC93, avec l'appui du ministère de la Culture.
Mme Mayette y a vu l'opportunité de toucher un public plus large tout en trouvant à Bobigny la grande salle modulable qui lui fait défaut, tandis que la Rue de Valois invoquait la nécessité de "revitaliser" un lieu ayant perdu 38% de spectateurs en quatre ans, selon des chiffres ministériels.
Le directeur de la MC93, Patrick Sommier, a dénoncé pour sa part une "OPA (offre publique d'achat) hostile" sur sa scène nationale, et reçu le soutien de nombreux artistes (les metteurs en scène Frank Castorf, Lev Dodine, Ariane Mnouchkine...) saluant la programmation audacieuse de la maison.
La ministre de la Culture, Christine Albanel, a tenté lundi de déminer le terrain en parlant d'"offre publique d'ambition commune", mais sans faire taire la profession, qui a dénoncé la méthode, jugée "brutale" par le Syndeac (directeurs de théâtre).
La troupe permanente de la Comédie-Française (35 sociétaires et 22 pensionnaires) n'avait pas réagi officiellement jusqu'à ce qu'elle dise jeudi "comprendre" la "stupéfaction, l'incompréhension" des uns et "la colère, la révolte" des autres face à ce projet "annoncé comme décidé et imminent".
"La situation est telle aujourd'hui qu'il nous paraît nécessaire de décliner la proposition de l'Etat (de s'installer à Bobigny, NDLR) dans un premier temps", poursuivent les acteurs.
"Nous n'irons pas à Bobigny sans une concertation préalable de l'ensemble des directeurs des théâtres de la région parisienne", souligne la troupe. Dans une déclaration distincte, l'administrateur du Français dit "partager le sentiment de la troupe de la Comédie-Française", tout en jugeant que "la polémique médiatique ne doit pas entamer la générosité d'une utopie artistique et historique".
"Nous devons peser les forces et les faiblesses de nos projets, et apaiser les inquiétudes. Je rencontre Patrick Sommier le mardi 14 octobre pour y travailler", précise Mme Mayette.
Mme Albanel a pour sa part manifestement peu goûté la réaction de la troupe, exprimant dans un communiqué "sa perplexité" et appelant "au sens de la responsabilité de chacun".
Le directeur de la MC93 a en revanche indiqué ressentir "beaucoup d'émotion" face à la "solidarité" exprimée par les Comédiens-Français.
"J'espère pouvoir un jour travailler avec cette grande troupe", a-t-il conclu, comme pour redire qu'il n'est pas totalement fermé à une collaboration avec la Maison de Molière.