"Un Tramway" de Krzysztof Warlikowski, se joue sur les planches du théâtre de l'Odéon depuis le 5 février dernier. Jusqu'à maintenant, la pièce récolte des avis plutôt mitigés. "Un Tramway sans désir, avec une Isabelle Huppert, certes admirable, mais dans un spectacle encore trop frais", pouvait-on lire dans le Nouvel Observateur. "Une version très libérée du tramway nommé désir d'Elia Kazan avec une adaptation très recentrée sur le personnage de Blanche, incarnée par une Isabelle Huppert magistrale, Trop?" écrivait Télérama. Sortiraparis a voulu se faire sa propre opinion et a donc pu assister à l'une des nombreuses représentations du Tramway.
Dimanche 14 février. Peu avant 15 heures, je découvre une salle de théâtre quasiment pleine à craquer. Seule une dizaine de sièges, en série 4, sont encore vacants. Une fois les dernières personnes retardataires arrivées, le spectacle peut enfin commencer vers 15h10.
C'est la comédienne Isabelle Huppert qui ouvre la pièce. Nous la retrouvons assise, sur un tabouret. Jambes écartées et en tenue légère, elle incarne une Blanche Dubois en pleine crise de folie. Elle parle mais ses mots sont incompréhensibles. La dépendance à l'alcool du personnage est clairement palpable. Isabelle Huppert articule difficilement et se gratte les bras telle une femme dépendante. Son visage est filmé en temps réel et la scène est projetée sur écran, derrière elle.
Ce système de vidéos est repris tout au long de la pièce. Utilisation de mini-caméras ou de webcam, le visage de Blanche est souvent mis en avant. Image réelle ou retouchée, nous vivons les moments des personnages, parfois hors scène.
Cette liberté d'adaptation, du célèbre film d'Elia Kazan, n'est pas un cas isolé. Krzysztof Warlikowski fait également appel, et ce à plusieurs reprises, à des textes de Claude Roy, Gustave Flaubert, Platon, Ertha Kitt, Coluche ou encore Sophocle. Ces monologues, souvent récités par Isabelle Huppert, cassent la magie et nous font souvent perdre le fil de l'histoire. Il est donc indispensable de connaître un minimum la pièce originale de Tennessee Williams.
Le metteur en scène se permet également d'incorporer quelques chansons, telles que "Common People" de Pulp ou "All By Myself" d'Eric Carmen. La plupart d'entre elles, interprétées par Renate Jett et plutôt rock, ne sont pas perturbantes alors que d'autres comme, "Qualsevol nit pot sortir el sol", sont interminables...
Malgré ces écarts d'adaptation, qui rendent la pièce très contemporaine, il faut reconnaître l'incroyable talent des comédiens. Isabelle Huppert est tout simplement impeccable, magnifique et épatante dans le rôle de Blanche. Elle nous livre ici un véritable jeu d'acteur, passant de la folie à une certaine lucidité puis d'un coup terrifiante et violente et enfin, fragile et attachante. Andrzej Chyra est également irréprochable dans le rôle d'un Stanley Kowalski violent, manipulateur et qui souhaite détruire intérieurement Blanche. Quant à Florence Thomassin (Stella) et Yann Collette (Mitch), tous deux dénudés à plusieurs reprises, jouent à merveille leurs personnages originaux.
Enfin, les décors, signés Malgorzata Szczesniak, ajoutent également une touche positive à cette pièce. Tout y est. De la salle de bain avec une baignoire où Blanche passe beaucoup de temps, aux toilettes en passant par la chambre de Stella et Stanley, le salon ou encore la piste de bowling, endroit de prédilection de Stanley et Mitch. Quant aux jeux de lumières, ils se reflètent dans de grandes cages de verre, utilisées comme cloisons.
On attendait beaucoup de cette pièce. Probablement trop. Au final, on en ressort donc peut-être un peu déçu par sa mise en scène et l'incorporation de textes divers qui brouillent nos esprits, mais avec l'intime conviction que nous avons eu affaire à des comédiens prodigieux et à une performance d'Isabelle Huppert à couper le souffle.
"Un tramway" de Krzysztof Warlikowski, au théâtre de l'Odéon, jusqu'au 3 avril.