Hier soir, jeudi 28 avril 2011, j’avais rendez-vous au Théâtre du Petit Montparnasse afin d’assister à la représentation du Gorille, un spectacle écrit et monté par Alejandro et Brontis Jodorowski, père et fils. Dans cette salle dirigée par Myriam Feune de Colombi, ex pensionnaire de la Comédie Française, règne une ambiance sereine, respectueuse, supervisée par la maîtresse de maison, en place depuis 25 ans. A l’entrée de la salle, elle accueille les spectateurs avec un sourire qui en dit long sur sa passion pour le théâtre, pour les acteurs et les gens.
Le spectacle qui est joué en ces lieux jusqu’au 26 juin 2011 est présenté pour la 108ème fois ce soir. Une caméra est installée au milieu des gradins. Moi, je m’installe, impatiente de découvrir la pièce dont on m’a dit tant de bien.
Ecrite à l’origine en espagnol par Alejandro Jodorowksi, le Gorille est tiré d’une œuvre de Franz Kafka, « Rapport pour une académie », qui bouleversa Alejandro dans sa jeunesse. Il décide alors de la compléter, de continuer l’histoire que Kafka avait commencée, et d’en faire une véritable critique de la société, de nos sentiments humains et de nos agissements hypocrites et superficiels. Pour jouer ce rôle, il ne voyait personne d’autre que son propre fils, pourtant au préalable hésitant à jouer seul sur scène. Puis finalement lui aussi touché par cette victime absolue qu’est le Gorille de Kafka, il décide d’adapter le texte en espagnol de son père en français, et de créer ainsi le spectacle que je suis venue voir ce soir.
Brontis Jodorowski parait devant les spectateurs par l’arrière de la salle. « Salut ! », nous crie-t-il. Il serre une poignée de main au hasard avec de monter finalement sur cette scène où pour unique décor sont installés un pupitre, un chevalet et cinq immenses photos, dont celle de Darwin, qui prône au centre. Pendant un peu plus d’une heure, ce Gorille va nous raconter l’histoire de sa vie dans le cadre d’une conférence organisée par une académie universitaire. Les gens de cette académie ont décidé de l’inviter afin de lui remettre un prix, mais pour cela, il doit se livrer devant cette foule d’inconnus. Dans un français impeccable, plein d’allitérations en contraste complet avec son allure toujours simiesque, ce Gorille se révèle terriblement touchant, horrifié par sa condition dont il n’est plus le maître, pour la première fois de sa vie. L’enlèvement dans sa jungle natale, la traversée en bateau pour arriver à Hambourg, enfermé dans une cage noire et minuscule, puis dans une cage à barreaux plus grandes. C’est dans cette cage qu’il aura l’idée de devenir « humain », afin d’échapper à la triste vie que mène un animal au zoo. En somme, le Gorille se surprend à penser, chose qu’un singe ne fait que rarement. Il décide de redevenir libre, et devenir un homme est la seule solution qui lui parut réalisable. Dans la cage du bateau, il fera donc ses premières expériences d’humains, il copiera les matelots qui tenteront de lui enseigner les normes d’une vie, telles que l’alcool, par exemple. Puis, le Gorille nous racontera son arrivée en ville, son succès au Music Hall, son intelligence développante, sa conscience devenue sienne. Il tombera ensuite dans les aléas de la vie, désirant à tout pris « se fondre dans le paysage », selon ses propres mots. Gains d’argent en bourse, mariage sans amour… Le Gorille se transforme alors sous nos yeux en infâmes intellectuel imbu de lui-même, monstrueuse copie d’un humain ordinaire. Le changement de comportement et d’attitude, Brontis Jodorowski le transmet à merveille. On reste bluffé par sa justesse d’expression, l’émotion qu’il met dans ses gestes, la cruauté quand il le faut.
En le retrouvant après le spectacle, Brontis me confie le travail qu’il y a derrière ce rôle : les échauffements, le maquillage (prothèses + maquillage + perruque) et sans oublier l’adaptation du texte de son père, qu’il a lui-même pris soin de retravailler entièrement afin que la version française colle vraiment aux idées, évitant donc une traduction littérale d’un spectacle qui tient son intérêt des paroles prononcées, et de l’effet que celles-ci font sur nous, le public. Sur la suite, Brontis se dit confiant, la notoriété de la pièce commençant à monter. Bonne presse et bonnes critiques, une vingtaine de villes prévues pour la tournée ainsi que le Festival d’Anjou. Un bel avenir donc !
Le Gorille, jusqu'au 26 juin 2011 au Petit Théâtre.