"Mon pays c'est la terre", le nouvel album d'Hélène Segara comprend 15 chansons qui reprennent folklores et hymnes du monde entier allant du Concerto d'Aranjuez (musique traditionnelle espagnole) à "Si j'avais moins peur", célèbre reprise de la chanson irlandaise des Christians " words".
Vous revenez avec un nouvel album «Mon pays c’est la Terre». C’est un voyage en chanson. Comment est née l’idée ? Est-ce que ça fait longtemps que vous avez envie de faire ce petit voyage ?
Oui. C’est une vieille idée, un vieux projet. Comme tous les projets qu’on porte depuis longtemps, on attend toujours le moment M pour que l’idée puisse enfin voir le jour.
Ce ne sont pas vraiment des reprises. Je pense que vous préférez parler de réadaptation ou de re-création ?
Oui, c’est gentil ça. Parce qu’il y a eu un vrai travail de recherche pour que la manière dont on reprend ces chansons soit créative. Réadaptation du texte en français, réarrangement complet avec d’autres univers, interprétation différente.
La plupart des chansons que vous chantez sont en français. Pourquoi avoir choisi le français ? C’est un problème de quota de radio ?
Je dis que mon pays est la Terre mais ma naissance s’est passée en France. Je vis avec une culture française et des influences de plein de pays. Mon idée à la base était d’interpréter chaque chanson de chaque pays dans la langue originale. Puis, c’est vrai que je suis quand même connue comme une chanteuse francophone et les radios effectivement, demandent à ce qu’on passe plus de français. Ces quotas existent, effectivement. A partir de ce moment-là, j’ai revisité les textes en français mais j’ai gardé quelques parties originales, pour certaines, par ce que je trouvais ça dommage.
Comment on choisit ces 15 titres ? Ce sont des chansons qu’on connaît tous mais c’est difficile?
Oui, ce sont des chansons qui sont dans l’inconscient collectif. Le choix a été le premier travail et ça a été assez long. Ça s’est passé l’été dernier, en 2007. Je commençais vraiment à avancer sur le projet, à lui faire prendre forme. Je me suis dit que j’allais commencer à sélectionner les chansons que je choisirais si je devais faire un tour du monde. Au départ, je ne partais que sur du traditionnel. Après je me suis dit que je n’avais pas envie de m’emprisonner. « Sodad » n’est peut-être pas une chanson traditionnelle sud américaine mais c’est une chanson que tout le monde chantonne. J’ai fait des choix par rapport à ce qui me convenait le mieux surtout, ce dans quoi j’étais crédible. Par exemple, pour le morceau Africain, au départ, on avait choisi un morceau Africain très connu et très chouette qui s’appelle « Bebe Manga », qui met beaucoup d’ambiance. Sauf que je trouve que ça ne m’allait pas du tout. J’ai donc réfléchi dans quel morceau africain je pourrais être crédible. Je n’ai pas du tout envie de passer pour quelqu’un de
pas sincère ou de démago. Il fallait que j’aime profondément les morceaux que j’allais chanter. J’ai repensé à « Asimbonanga», qui est une vraie page de l’histoire de l’Afrique du Sud. Là j’ai contacté Johnny Clegg pour en parler avec lui.
Vous avez contacté Johnny Clegg, quelle a été sa réaction ?
Je trouve que quand une chanson a été aussi importante pour un interprète, c’est important de lui demander son autorisation. Cette chanson, pour Johnny Clegg, est très intense. C’est une chanson anti-appartheid. Ce qu’on ne sait pas forcément c’est que dedans il parle des victimes qui ont été tuées. Il parle de l’emprisonnement de Nelson Mandela qui a duré 26 ans mais des gens comme Lil Garett, comme Patricia Boursengué, comme Stev Biko, sont morts. Ils étaient brillants. Lui, on l’appelait le zoulou blanc parce qu’il avait pris position pour les noirs. Il a fait de la prison. Lil Garett était aussi un blanc. Historiquement, c’est une page très importante. Avec l’élection d’Obama, le présent nous rappelle qu’on a fait un grand pas. Mais lui tenait vraiment à ce que je cite les noms des autres
victimes. Parce que c’était des gens brillants et justes qui on été tués au nom de la justice.
Le premier titre qu’on trouve sur l’album est « Mon pays c’est la Terre » sur la musique du concerto d’Aranjuez. Je pense que ça fait longtemps qu’Orlando en avait envie ?
Oui depuis le début. Mais je ne me sentais pas assez mure pour chanter un concerto d’Ajanruez il y a quelques années. Aujourd’hui, il arrive pile poil au bon moment, sur scène je me fais très plaisir en la chantant. C’est une vraie œuvre. Ça mérite une vraie interprétation.
La chanson que vous dédiez à la France, vous la dédiez surtout à Montmartre. C’est un quartier qui vous est cher ?
C’est un clin d’œil, c’est mon arrivée à Paris. Mais j’aime surtout énormément cette chanson. J’ai des amis qui ne sont pas Français et qui connaissent cette chanson. Pour eux ça représente certaines pépites françaises, comme certaines chansons de Piaf. Je ne voulais pas tomber non plus dans des chansons qui ont été trop marquées par des personnages. Je ne pouvais pas reprendre une chanson de Piaf. Il y a des chansons que j’aime profondément, de Brel ou d’autres interprètes, j’ai pensé aussi à Barbara. Mais je n’avais pas envie de « passer derrière ».
On découvre aussi un fabuleux duo avec Maurane. Ça faisait longtemps qu’on l’attendait...
J’aime les duos. Maurane est une amie mais à part les Restos du Cœur ou certaines télés, on n’a jamais enregistré de duos ensemble. Là, ce n’était pas seulement une envie artistique même si j’admire sa voix qui est sublime. C’était
l’envie que deux amies marquent quelque chose toutes les deux ensemble. Quand j’ai écrit le texte de « Green sleeves », j’ai adapté la chanson, je lui ai donné un double sens. Le sens de quelqu’un qui est chez lui et qui regarde ce qui se passe au Darfour, la vision qu’on peut en avoir de son canapé, un peu simpliste. A mon avis, sur le terrain les choses sont beaucoup plus intenses et révoltantes. Et le double sens pour Maurane, la vision de deux amies qui sont séparées géographiquement ou par leur vie mais qui savent que quoiqu’il arrive, elles peuvent se retrouver.
La chanson pour l’Arménie part aussi d’une très belle histoire...
Oui, c’était mon premier voyage en Arménie, avec Charles Aznavour. J’ai décidé d’emmener ma maman. C’est la première fois qu’elle mettait le pied sur la terre de ses parents. C’était un moment très important dans la vie de ma mère et dans la mienne. Charles nous a amenées dans un restaurant arménien typique où il y avait un chanteur qui chantait a cappella, un peu troubadour. Charles lui demande en arménien de m’interpréter une chanson. Cet homme m’interprète une chanson comme ça et cette chanson m’a bouleversé. Je me suis cachée sous la table, j’ai fait semblant de chercher un truc dans mon sac. Charles m’a dit « Ce n’est pas la peine que tu te caches pour pleurer, elle me fait pleurer aussi ». Donc je suis rentrée en France et j’ai dit à ma mère que cette chanson avait touché quelque-chose de tellement profond qu’il fallait absolument que je la chante. J’ai dû acheter tous les albums arméniens que j’ai trouvés sur I-tunes et au bout d’un moment j’ai trouvé la chanson dont je ne me souvenais plus du titre. Après, j’ai commencé à faire ma propre adaptation.
La tournée arrive ?
Elle arrive. J’ai fait une générale en public. C’est un spectacle très différent, un vrai voyage. Je demande aux gens s’ils ont pris leur passeport avant de venir. Pendant deux heures je les kidnappe et je les fais voyager. Je les fais danser. C’est un vrai spectacle différent. C’est celui où j’ai le plus de travail d’ailleurs.
Vous tournez en France mais pas seulement je pense ?
Non, il y a des tournées dans plein d’autres pays, pays du Maghreb, pays de l’Est. Pour l’instant, on a beaucoup de choses jusqu’en mars.
Bientôt la tournée en France, est-ce qu’il y a des villes que vous attendez particulièrement ?
Les artistes sont assez d’accord pour dire que le Nord et l’Est sont des endroits où les gens s’expriment beaucoup. J’ai fait des villes où il y avait parfois beaucoup moins de bruit et c’était un peu angoissant. Finalement, le public ne se rend pas compte de la manière dont nous sommes prisonniers de leurs réactions. C’était un peu angoissant et à la fin ils ne voulaient plus partir. Ils ont attendu la fin avec une sorte d’attention et de silence. Je leur ai dit que c’était un silence religieux qu’ils me faisaient. Ça les a fait beaucoup rire, c’était presque à la fin du spectacle. C’était de la retenue et ça a été très exprimé à la fin. Ça dépend des régions, c’est vraiment différent selon les régions. J’ai sillonné la France en long et en large. Ce qui est vrai c’est que j’ai toujours aimé les petites salles donc je me suis privée de très peu de villes. Des petites villes que certains artistes ne veulent pas faire, je les ai faites dès le début. Je trouve que c’est important d’aller à la rencontre de son public de province. J’ai de la famille aussi en province, un peu partout. J’ai des cousins dans la région de Lyon et quand je vais à Lyon, je vais aussi dans des villes à côté, comme Porcieu, Voiron. C’est important, il y a des gens qui n’arrivent pas à se déplacer, qui ne peuvent pas prendre la voiture pour aller à certains grands Zéniths. Quand on passe chez eux, pour eux c’est formidable et ils le montrent. Ils montrent qu’ils sont vraiment contents qu’on fasse des villes comme ça. Moi il n’y a aucune ville à laquelle je dis non. Ça c’est bien, parce qu’avant j’étais nulle en géo et maintenant je suis plutôt calée.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?
Tant qu’il y aura du public, tant que j’arriverais à concilier ma vie d’artiste et ma vie de femme je serai heureuse. Mon bonheur de femme rejaillira sur mon public et mon bonheur d’artiste rejaillira dans ma famille. C’est l’idéal. Je ne demande pas à être numéro 1, ce n’est pas du tout mon ambition. Ce que je veux c’est continuer à rencontrer des belles personnes, faire des belles salles et faire plaisir aux gens, les kidnapper de leur quotidien, leur faire oublier leurs soucis. Et surtout, la musique c’est le partage. S’il n’y a pas de partage ça ne m’intéresse plus beaucoup.
Interview réalisée par Joëlle Martinez