A l'occasion de la sortie de son nouvel album, May Day, et de son concert à la Cigale le 2 avril prochain, rencontre avec le suédois Peter Von Poehl.
SAP : Pour ceux qui ne connaissent pas encore Peter Von Poehl, qui sort son deuxième album : qui est Peter Von Poehl ? On sait qu'il vient de Suède, mais encore ?
Peter Von Poehl : Il vient de Suède. Il a pas mal bougé dans sa vie. Parfois, on ne sait plus qui on est et où on est. On parlait tout à l'heure de switcher de langue. Je pense que ça a pas mal joué dans mon parcours. La France, c'est une rencontre très importante pour moi. Je vais aussi à Berlin, et encore plus en Suède qu'avant.
Le premier album faisait référence à la Suède. C'était un peu le fantasme de ce pays. Tu as des attaches familiales là-bas ? Il faut dire que tes origines sont très partagées.
Peter Von Poehl : Oui, mon père est d'origine allemande, ma mère est Suédoise. Pour le premier album, je pensais faire quelque chose de très suédois, avec toutes mes références suédoises. Mais ça n'a pas marché du tout, les gens ont dit que ce n'était pas suédois ! Apparemment je ne connais pas si bien mon pays.
Que s'est-il passé quand tu es arrivé à Paris ? Tu t'es mis au service d'autres artistes ?
Peter Von Poehl : J'ai eu une bourse de la Communauté Européenne pour les jeunes sans emploi. J'ai été gentiment invité par un certain Bertrand Burgalat à faire un stage dans son studio. Pendant plusieurs années, j'ai beaucoup travaillé avec lui sur des projets très divers, depuis l'écrivain Michel Hoellebecq jusqu'à Depeche Mode. J'étais au service des autres, j'ai écrit des chansons pour d'autres artistes. C'était une manière d'arriver à faire mes propres chansons.
En parlant de tes chansons, ça t'a pris du temps de faire ce premier album ? C'était carrément atypique parce que tu as sorti un 45 tours alors que
beaucoup d'artistes pensent plutôt à répandre leur musique sur internet
!
Peter Von Poehl : Je ne suis pas très au point là dessus. J'aime bien les bandes magnétiques, les vinyles, les 45 tours. Après, il faudrait que je me branche un peu plus sur la nouvelle technologie. A l'époque, j'ai fait un 45 tours du titre « Going to where the tea trees are », le titre de mon premier album. Au départ c'est parce que c'était ce qui coutait le moins cher à fabriquer. Je le vendais via internet, les gens le commandaient et j'allais à la poste l'envoyer. Le 45 tours s'est retrouvé sur une radio parisienne, Nova, qui a commencé à le jouer. Tout à coup, j'imagine que les gens l'ont écouté sur internet partout dans le monde parce que j'ai commencé à avoir des commandes de partout, notamment des Etats Unis et de Californie. Je ne comprenais pas trop pourquoi. Après, j'ai reçu un mail de quelqu'un qui jouait le 45 tours là-bas. Il m'a demandé si je pouvais envoyer un CD parce que les 45 tours était usé...
Tu as beaucoup tourné. Tu as fait plus de cent concerts. Tu as fait le compte ?
Peter Von Poehl : Non je n'ai pas fait le compte mais je devrais, ça pourrait être marrant. Mais j'en ai fait des centaines.
Et tu en as fait dans de petites salles. Tu as fait des premières parties en guitare solo. C'est ce qui t'a donné plus de forces sur ce deuxième album ? Le premier était intime et dans le second tu t'es ouvert ?
Peter Von Poehl : Ça a eu un impact dans la façon de créer la chanson. J'étais tout le temps en tournée. Je me retrouvais tout seul dans le bus, dans les hôtels, la loge. Je me baladais souvent avec une guitare. Et je pense que ça a beaucoup joué. On était toujours dans un contexte de concert donc je jouais les chansons tout de suite après. Il y avait ce sentiment que je l'écrivais pour quelqu'un. C'est la grande différence avec le premier album. Quelqu'un écoutait la chanson. C'est ce qui m'a le plus poussé à faire de nouvelles chansons.
Est-ce que parfois il faut lutter quand on est en première partie dans les pays anglo-saxons ? A Londres, c'est plus une sorte de rassemblement de potes où on boit des bières et où on parle fort non ?
Peter Von Poehl : C'est tout à fait ça. Ça donnait envie de faire plus de bruit pour se faire entendre, de chanter plus fort, mais avec des moyens un peu limités. Mais c'est quelque chose que j'ai essayé de faire.
Le deuxième album est plus pop. L'arrangement est vraiment très soigné.
Peter Von Poehl : C'est bien de donner cette impression. Je crois que c'est aussi peu soigné que le premier. Comme le premier album, ça a été fait un peu n‘importe comment. C'est le même copain qui joue tous les cuivres... C'était chaotique. Si ça donne un effet soigné je suis très content.
Que veux tu faire avec ce deuxième album ?
Peter Von Poehl : Pourquoi écrire des chansons ? Tout simplement, en faisant des concerts, j'avais envie de faire d'autres chansons pour pouvoir les jouer. C'était très pressant. Le premier disque, je l'ai fait dans mon coin. Je ne le faisais écouter à personne. Les thèmes étaient très centrés sur la même question, le fantasme de mon pays, qui a guidé tous les arrangements, les mélodies... Je pompais des chants de noël suédois... Sur le deuxième, ça venait plus naturellement. Il est plus ludique que le premier. Après, je pense que c'était plus compliqué à faire. C'est bien d'avoir cette liberté, d'avoir tout le temps pour faire les chansons. Pour le deuxième album, ce n'était pas du tout le cas. Je rentrais des concerts et j'allais tout de suite enregistrer. Il fallait finir à temps. Cette structure autour, je n'en avais pas l'habitude. Je me rends compte que parfois ce n'était pas très facile à gérer.
En écoutant ton album, je trouve qu'il y a un côté Sergent Pepper, très orchestré, joyeux.
Peter Von Poehl : C'est très flatteur. J'étais tout le temps dans un contexte de concert. A la base, la musique est quelque chose qui se partage. Je ne suis pas très « Ipod » dans ma manière d'écouter de la musique. Donc il était plus pressant de la montrer.
Tu peux nous dire un mot sur le titre de l'album, qui a une double signification ?
Peter Von Poehl : « May Day », écrit en deux mots, comme le premier mai. Le premier mai est très important chez nous, parce qu'on sort des mois d'hiver. C'est l'espoir. Ce sont des jours très marquants. Je me souviens de tout ce que j'ai fait les premiers mai. J'ai écrit ce morceau le lendemain d'un premier mai un peu violent dans mon quartier. Avec les oiseaux qui chantaient et une voiture brulée, j'ai fait cette chanson à ce moment-là.
C'est cette chanson qui a déterminé le reste de l'album ?
Peter Von Poehl : C'est une des premières chansons que j'ai faite. Ça a donné un ton, et c'est un thème que j'avais envie d'aborder. J'avais envie de sortir du thème du premier album. Cette chanson a donné une direction.
Pas tant dans les paroles mais dans la façon dont tu fais tes chansons, il y a une sorte de mélancolie. Tu parlais de sortir de l'hiver. Il y a ce qu'on appelle la maladie du Lappon en Scandinavie ?
Peter Von Poehl : Oui, par rapport à la lumière. Il y a d'ailleurs des thérapies de lumière. C'est particulier. Quand on va plus au nord, le soleil ne dépasse pas l'horizon. Le contraste avec l'été, où il faut jour 24 heures sur 24, et cette explosion qui arrive au printemps, c'est très marquant.
Est-ce que dans ta musique il y a ce côté qui traine, avec cette mélancolie omniprésente ?
Peter Von Poehl : Vous n'avez pas tort. Je pense à ce truc de regarder par la fenêtre, toujours vouloir être ailleurs... C'est assez juste.
Pour l'écriture, je crois que c'est une obsession pour toi, c'est un travail très précis. Là tu as partagé l'écriture.
Peter Von Poehl : C'est quelque chose que j'avais envie d'essayer. J'avais envie d'aborder d'autres thèmes et j'avais peur de me retrouver à refaire le même disque. Les textes sont très importants pour moi, ça définit vraiment une chanson. J'ai donc pensé à l'idée de confier des textes à quelqu'un d'autre, pour donner une autre direction. Je venais de travailler avec une Française, Marie Modiano. J'ai travaillé son deuxième disque. Je la connaissais déjà parce qu'elle a enregistré son premier disque à Berlin où je jouais de la guitare. J'aimais beaucoup ses textes ; encore plus sur le deuxième album parce que j'étais plus impliqué. Je me disais que ça pourrait marcher, qu'elle pourrait écrire des textes. Je suis très content de cette collaboration. Ça m'a aidé à prendre d'autres directions ; ça a beaucoup joué sur la musique.
Qu'est-ce que ça t'a apporté de vivre longtemps à Paris ? Qu'est-ce-que ça a influencé ? Il y a un rapport avec les artistes avec lesquels tu as travaillé ? En France, il y a un carrefour qui a permis de t'ouvrir ?
Peter Von Poehl : Pour être complément honnête, la musique en France est toujours quelque chose de très exotique pour moi. Les musiques anglo-saxonne ou scandinave sont très proches ; quand on parle des Beatles, je comprends très bien. La musique française est beaucoup plus exotique. Je peux comprendre l'importance que joue le texte. Je ne parle pas assez bien le français pour comprendre ça ; donc la musique française est très mystérieuse pour moi.
Depuis pas mal d'années, il y a beaucoup d'artistes Scandinaves qui ont fait des cartons à l'international, ABBA, Roxette... Ça tient à quoi ?
Peter Von Poehl : C'est vrai que pour un pays de 8 millions d'habitants, être le troisième producteur de musique dans le monde, c'est quand même pas mal ! Quand j'étais gamin, tout le monde jouait dans un groupe de rock, un groupe de garage, ou alors on jouait au foot. C'était les deux possibilités. La ville payait même des locaux de répétition. On avait l'équivalent de 50€ par mois pour acheter des instruments. Généralement, c'était plutôt pour acheter de la bière ! Tout le monde faisait ça, c'était quelque chose de normal. Ça a crée une génération de musiciens de garage. Certains ont continué après. C'est une normalité de jouer dans un groupe. Ça a donné naissance à de nombreux groupes.
Apparemment, dans ta façon de faire de la musique, le processus est plutôt lent ?
Peter Von Poehl : Je suis lent à tous les niveaux. Je découvre des disques qui sont sortis il y a trois ans... Ce rapport au temps est curieux. On n'a pas de mal à écouter un disque sorti il y a 40 ans mais un disque sorti il y a six mois est déjà vieux. Je trouve ça curieux. Dans la manière de faire, quand je travaille pour les autres, j'ai une sorte de distance que je n'ai pas par rapport à mes propres chansons. Ce n'est que le temps qui me dit quel choix il faut faire. Je me rends compte sur ce deuxième disque, pour lequel j'ai fait des nuits d'insomnie, que j'ai beaucoup de choix à faire. J'ai tendance à essayer de fermer des portes dès que possible. Les batteries sont enregistrées sur une piste. Après, quand le son est bien, on l'enregistre sur une piste et on ferme cette porte. Je prends des décisions le plus tôt possible. Si ce n'est pas bien on le refait. Mais on ne se retrouve pas à la fin à prendre des milliers de décisions au jour du mastering. C'est compliqué de faire de la musique aujourd'hui, avec le numérique, tous les choix sont ouverts, tout peut être renversé. On peut tout refaire jusqu'au jour où le disque arrive dans le magasin. C'est une vision très angoissante de la musique !
Quand l'album est terminé, ce n'est pas la fin du processus pour toi ?
Peter Von Poehl : Je continue à faire des chansons. Je pense que ça ne va jamais s'arrêter. Le disque est fini et je vais encore en studio ! On m'a dit que Renoir allait repeindre ses toiles dans les musées. Ce n'est peut être pas une mauvaise chose. On se disait que les gens peuvent faire leurs propres compilations. C'est une musique moins figée, ça ressemble plus à un concert où on change l'ordre des chansons, on les joue un peu plus rapidement selon nos humeurs. Ce côté éphémère peut s'appliquer au disque.
Pour terminer, est-ce-que tu continues à composer pour d'autres ? Je sais que tu as fait quelque chose pour Emma Daumas.
Peter Von Poehl : C'est une chanson dont je suis très content. J'aime bien faire ça, des chansons pour des disques ou des films, du théâtre et pas forcément pour moi.
Interview réalisée par Thierry Baumann