Flor et Léonore déshabillent... les mots

Par · Publié le 16 novembre 2011 à 17h56
Léonore Chaix et Flor Lurienne jouent Déshabillez-mots tous les mardis et dimanches à l’Européen.
Déshabillez-mots ce n’est pas tout à fait un spectacle, ni tout à fait une pièce de théâtre d’ailleurs. C’est ce que ses auteurs ont choisi d’appeler un strip-texte. N’est-ce pas un peu douteux comme dénomination pour un duo qui a pourtant choisi les mots comme matière première ?

Flor et Léonore entrent en scène et se saluent. Voilà la joute oratoire qui démarre. A la façon d’un entretien radiophonique et même télévisuel, puisque désormais et contrairement à leurs précédentes émissions sur France Inter, le public peut les voir, les deux comédiennes entament leur discussion. Une interviewée, une intervieweuse. La journaliste reçoit un invité, cet invité c’est un mot. Par exemple, Léonore devient l’animatrice et invite la légèreté à partager son micro. Au jeu des questions réponses, Flor, ses manières, ses propos, incarnent à merveille le mot et son sens.

Tour à tour, elles échangent leur place et deviennent le déclic, le mensonge, la paresse, ou encore la colère et même l'onanisme. Dans ce spectacle peu ordinaire, les mots en sont la vedette. Bien pensées, drôles, justes et entières, les tirades de Flor et Léonore ont effectivement le beau rôle. Contorsions syntaxiques et acrobaties textuelles, elles se renvoient la réplique avec élégance et habilité. Convaincantes dans leur interprétation, elles usent également de mimiques et le ton de leur voix permet d’appuyer encore leurs propos. Question scénographie, la scène se limite à deux chaises, deux micros et deux… objets non identifiés qui changent de fonction selon les besoins (cadre, écran, peinture). Toute l’attention du spectateur se porte donc sur les dialogues et c’est tant mieux.

Personnalisés, les mots, invités de ce plateau, révèlent leur nature. Des expressions du langage courant interviennent ainsi et nous rappellent ce qu’elles veulent vraiment dire, émotionnellement. Un mot ici, est plus qu’un attribut ou une désignation, c’est un sentiment ou une impression. La première fois est donc fugace et éphémère, l’insouciance est enfantine et imprévisible. Si nous avions oublié que le mot, parle de lui-même, prononcé de la bouche de Flor ou Léonore, il reprend plus de sens, plus d’importance. Prenez pusillanime : il faut avouer (et j’avoue donc personnellement n’avoir jamais employé ce terme même dans mes rêves les plus fous) que nous n’en faisons quotidiennement que très peu usage (pas du tout en somme). Faites une recherche google et vous constaterez qu’il y a peu d’occurrences le concernant (439 000 contre 6 050 000 pour légèreté). Pourtant, ce mot « qui se retrouve entre pue et pustule dans le dictionnaire » outre le fait d’être imprononçable, il est aussi à la hauteur de sa définition. Alors pourquoi se servir de lui si d’autres, comme lâche ou poltron, font tout aussi bien l’affaire ? Et bien tout simplement parce que la diversité lexicale le permet.

Vous l’aurez compris, Déshabillez-mots réhabilite les oubliés et les abusés de la langue française. Le spectacle est un plaisir auditif et syntaxique. On se délecte des bons mots de ces deux demoiselles qui, sans lourdeur ni fadeur, donnent le ton avec leurs petites définitions qui remettent en question leur implication. La colère est colère parce qu’on la tait, on la refoule, la paresse se fout qu’on la montre du doigt puisque ce n’est pas elle qui fait l’effort, la décision est dur à prendre puisqu’elle implique l’amputation d’une partie d’elle-même, la virilité s’accorde mal avec le sourire mais n’a rien a voir non plus avec la sauvagerie…

Rendez-vous à l’Européen pour retrouver le sens des mots plaisir et humour, savamment représentés par Léonore Chaix et Flor Lurienne.

© Philippe Delacroix
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