Le spectacle va commencer. Les ouvreurs de l'Odéon cherchent, tant bien que mal, quelques places restantes pour faire entrer les courageux qui ont voulu tenter leur chance ce soir. Le spectacle est complet depuis des semaines, il fait 38 degrés dehors, c'est la fête de la musique. Pourtant, elles sont nombreuses, les pancartes, annonçant qu'on cherche des billets pour ce soir, première de Richard III du metteur en scène allemand Thomas Ostermeier.
Le spectacle va commencer et à ma gauche, je vois le couloir qui entoure le parterre, sa moquette rouge, sa lumière jaune. Je tourne la tête machinalement, mon regard croise celui de Thomas Ostermeier qui, à l'ombre des regards, dans le couloir désormais vide, va probablement rejoindre sa place. Il sourit, mais pas vraiment non plus. Pourtant, à Paris, il se sent un peu chez lui, on l'y accueille toujours comme tel et les spectateurs ne tarissent pas d'éloges à son égard. Mais, sait-on jamais, c'est ce que j'imagine, du moins. J'ai encore ce sourire en tête quand les acteurs pénètrent sur scène, par cette même porte, à gauche du parterre, dont s'échappait un instant avant le sourire timide du direktor.
Ca commence en fanfare. C'est la fête, une fête entre celles données par Gatsby et un concert de Rammstein, ça en a l'élégance des premières et la violence du deuxième. Cotillons qui pètent dans nos oreilles, on tente de deviner, entre les personnages, le champagne, les paillettes et les mains aux fesses, lequel peut bien être Richard. Quand soudain, ça ne fait plus aucun doute : Lars Eidinger sous les traits du plus cruel des personnages shakespeariens vient d'entrer en scène. Bossu, l'aspect extérieur ravagé par sa laideur intérieure. Mais pourtant... d'une laideur manifeste, il va séduire un empire, et nous avec.
"Why being a king when you can be a god ? It's not Shakespeare. It's Eminem".
C'est toute l'intelligence des mises en scène d'Ostermeier qui peut être résumée avec cette phrase déclamée, entre deux tirades, en riant, évidemment. Le classique et le contemporain, dans l'arrogance et la cruauté, il n'y a pas de temporalité. Cette phrase-là donne aussi à voir toute la portée contemporaine de l'œuvre de Shakespeare : évidemment, tout ça n'a pas pris une ride. L'homme de théâtre anglais ne nous est jamais apparu aussi réel, aussi vrai. Les frontières avec la réalité deviennent poreuses. Le contact intime établi avec Richard et le public est déroutant, fascinant. Il s'adresse à nous, directement. Même quand dans la salle, un portable sonne. Il demande à ce qu'on allume la lumière, demande à qui appartient le portable. Une femme lève la main. "You can kill her, please ? Oh no, you can rape her" demande Richard au bandit à ses côtés, qui venait, à l'instant, de lui déposer les cadavres de ses neveux sous les yeux.
2h30 de spectacle intense, fou, puissant, sans interruption. On oscille entre le sadisme et la bouffonnerie, la cruauté pure et l'arrogance. Lars Eidinger, sous la direction du décidément génial Ostermeier, est hypnotisant. À la fois terrifiant et magnifique, il campe un Richard à la psychologie fine, à la présence corporelle démente et au corps érotisé déroutant. Visuellement, tout est aussi parfait que nous aurions pu l'imaginer. Et psychologiquement, ça l'est encore plus.
Infos pratiques :
Richard III à l'Odéon - Théâtre de l'Europe, jusqu'au 29 juin 2017.
Spectacle complet.
Dates et Horaires
Du 22 juin 2017 au 29 juin 2017
Lieu
Odéon Théâtre de l´Europe
2 rue Corneille
75006 Paris 6
Accès
Métro Odéon