C’est au superbe Théâtre de l’Odéon, dont il a la direction, qu’Olivier Py présente, jusqu’au 29 octobre, sa propre version de Roméo et Juliette.
Roméo et Juliette représente, pour tout à chacun, l’histoire d’amour la plus merveilleuse qui soit. Référence ultime pour faire rêver filles et femmes du monde entier, Roméo est même devenu un nom commun. Entre larmes et émotions, le spectateur ne s’attend qu’à du chagrin, de la mièvrerie, et du romantisme exacerbé, interprété par deux jeunes gens innocents. Cependant, si la figure de cet amour contrarié et malheureux nous est à tous familière, la pièce en elle-même reste relativement peu ou en tous cas, mal connue.
Olivier Py a ainsi décidé de se lancer dans cette grande aventure et de mettre en lumière cet aspect de l'œuvre, c'est-à-dire la réflexion existentielle plutôt que le mélodramatique. Alors, le
Roméo et Juliette d’Odéon présente finalement très peu de scènes « niaises » ni de torrents de larmes à la fin de la pièce, qui dure par ailleurs pas moins de 3h. Certains crieront au génie, au sublime, certains diront que c’est là une haute trahison à l’œuvre de
Shakespeare.
Une chose cependant est certaine, c’est une belle leçon de théâtre et de talent. Les comédiens, sont époustouflants. Dans le rôle des amoureux transits, vous pourrez apprécier deux jeunes acteurs méconnus, mais qui ne le resteront pas pour longtemps. Un Roméo (
Matthieu Dessertine) divinement beau et démesurément tragique, voir pathétique ; allié à une Juliette (
Camille Cobbi) sublime et dont le charisme n'est pas sans surprendre. Dans une robe blanche et aérienne, cet " ange scintillant " s'amuse à nous laisser presque entrevoir, par transparence, ses formes timides de femme naissante, d'adolescente meurtrie et décidée à vivre pour elle et ses sentiments. L’harmonie est superbe, tant sur la scénographie défendue par
Py, que sur la direction d'acteurs, tous sont au diapason, et la Grande Vérone flamboie par l'énergie véhiculée par ses habitants. Leurs tirades se complètent et se rejoignent, ne formant plus qu’un. Ils sont beaux, ils sont vifs, et rendus complétement fous par cet amour d'adolescent immodéré ; mais aussi par le travestissement des acteurs en plusieurs personnages. Jeu de miroir qui rend justice à la structure duale de la pièce, où chaque personnage se voit en un double affilié à l'une des Maisons Rivales.
Parlons de la propre version d’
Olivier Py, il n'est pas uniquement question de la vision du texte par metteur en scène, et de sa mise en scène. En effet, ici le partis pris est clairement celui de la vulgarisation de la langue de Shakespeare, sa propre traduction en somme, est relativement différente de celle d’
Yves Bonnefoy, grand poète français, qui nous avait offert une vision reconnue de la lecture de la pièce. Ainsi, la fabuleuse « La peste soit de vos deux maisons » se transforme en « que vos deux maisons crèvent ! ». Un anachronisme finalement récurrent dans ce texte remanié par
Olivier Py; l’effet est saisissant, et même drôle. Le décalage est complet. L'étonnant atteint son paroxysme quand le père Capulet en vient à traiter sa fille de « salope », alors que chez Yves Bonnefoy, cela se limitait à un plus humble « gourgantine ». On passe d’un « faquin » à un « fils de pute ». Un texte ajusté donc, qui se marie à la perfection avec cette mise en scène innovante de vivacité et d’humour qui n'est pas sans rappeler celle de l'esthétique du Théâtre Élisabéthain. Py joue ainsi avec les mots, les manient et les renversent, afin de rendre au texte son entrain et son dynamisme d’antan.
D'ailleurs, la scène en elle-même est déjà une œuvre d’art. Décors amovibles, panneaux déroulants, lumières découvertes… La scène du
Théâtre de l’Odéon parait, aux premiers abords, ressembler à un vulgaire hangar où se mélangent tables, palmiers (référence au Roméo+Juliette de Baz Lhurmann ?), et cubes roulants… Cependant, ils s’assemblent, se complètent, s’entrechoquent et s’entremêlent, pour un résultat visuel des plus audacieux. Un film rouge vif, déroulé pendant un carnaval aux allures presque macabres et pendant une scène finale des plus remarquables, donnera à cette pièce une allure sanguinolente, où rappelons le, beaucoup de personnages meurent, déséquilibrant ainsi les forces duales des deux Familles. D'un côté ou de l'autre, la justice des protagonistes répond par l'impulsion. Pour venger un sang, il faut en faire couler un autre.
A en croire le public debout,
Olivier Py a su rassembler et combler sa salle, face à la Grande Vérone. Amusant d'ailleurs de voir à quel point la critique est divisée, à l'image de Vérone, les spectateurs sont saisis, et c’est peut-être le plus important. A voir de toute urgence, évidemment. Inconditionnels de Shakespeare, ou pas. Romantique, ou non.
Olivier Py vous offre ici, un
Roméo et Juliette des plus renversants, qui comprend dans sa forme divertissement et dérangement.
Roméo et Juliette, Odéon Théâtre de l’Europe.
Du 21 septembre au 29 octobre.