La première exposition textile du musée du quai Branly est l’occasion de donner à voir la place des tissus dans les différentes sociétés qui les produisent ou les ont produits.
Un tissu est l'un des signes les plus tangibles par lesquels s'exprime une société. Le rôle et la place que prennent les tissus dans la vie sociale, comme marqueurs identitaires, comme éléments de rituels profanes ou religieux ou comme vecteurs d'expression artistique sont révélés à travers la perception des textures, des couleurs, des motifs. Les conditions de fabrication fournissent également des informations et les changements qui interviennent dans ce domaine sont révélateurs de l'évolution de la demande et des modes de production. Etudier un tissu, c'est prendre en compte d'une manière globale tout un ensemble de faits culturels.
La teinture à réserves est attestée dans le monde entier, y compris en Europe dont le musée du quai Branly n'a pas vocation à conserver de collections. Malgré les facteurs de dégradation, des tissus découverts lors de fouilles archéologiques permettent d'établir des repères de datation depuis les derniers siècles avant notre ère, auxquels s'ajoutent des figurations sur des fresques ou sur des céramiques.
Mais les tissus font partie des productions humaines qui ont le plus voyagé et depuis très longtemps. Les routes commerciales, les guerres, les conquêtes ont favorisé les emprunts, les « transferts de technologie », les cadeaux de prestige, les taxes ; les décors et les procédés de fabrication se sont alors échangés, se sont influencés. C'est pourquoi il est difficile, et les contributions ici rassemblées dans le catalogue soulignent cette difficulté, de déterminer une origine précise à leur apparition dans une région donnée. La comparaison amène à voir qu'un même procédé entraîne parfois un même type de motifs dans des régions très distantes.
Ce qui est très fécond, en revanche, c'est d'observer comment les différentes cultures ont, au cours des siècles, tiré parti des procédés pour développer des styles propres, identifiables ou, à l'inverse, ont poursuivi ce métissage stylistique. L'histoire récente et contemporaine voit de nouvelles évolutions. La nature du tissu de base et surtout l'arrivée des teintures de synthèse ont entraîné des modifications importantes. Aujourd'hui, beaucoup de ces tissus sont en train de disparaître, du fait du changement de vie, de l'urbanisation croissante et de la concurrence des tissus industriels. Mais on observe aussi le brassage, là où cet artisanat est vivace, des procédés et des décors. Les conditions de réalisation des tissus ne peuvent évidemment pas faire l'objet de généralisations. Dans certains contextes, réserves et teinture sont l'œuvre des mêmes mains et sont pratiquées dans un cadre domestique; c'était le cas au Maghreb par exemple. Ailleurs, elles sont affaire de spécialistes, non professionnels, comme chez les Dida de Côte d'Ivoire. Le plus souvent, il s'agit d'un travail artisanal, au sens propre, où les deux étapes sont réalisées par des acteurs différents. Les femmes participent largement à la production.
LA COLLECTION TEXTILE DU MUSEE DU QUAI BRANLY
La collection textile du musée du quai Branly compte près de 25 000 pièces représentatives de l'étonnante variété des matériaux, procédés, usages et formes employés par les hommes à travers le monde, et s'enrichit régulièrement depuis l'ouverture du musée. La plupart datent des 19e et 20e siècles, mais le fonds comprend aussi quelques tissus archéologiques et historiques, en provenance notamment d'Amérique. Par son ampleur, cet ensemble apporte un éclairage spécifique à l'histoire des collections ; il illustre les choix esthétiques des différentes cultures et rend compte des contacts, emprunts et innovations que l'on peut observer dans le temps et dans l'espace. Une multitude de fibres s'y côtoient, végétales (citons coton, ramie, raphia, hibiscus, liber d'écorces variées - comme celle de cèdre rouge pour une cape cérémonielle chilkat de Colombie britannique, au Canada), animales (provenant de divers vers à soie, animaux à toisons, porcs-épics, oiseaux, coquillages...), parfois aussi minérales (avec les fils et filés de métaux précieux). Le tissage met en œuvre des savoir-faire pratiqués dans des ateliers professionnels ou au sein du groupe familial, qui se transmettent d'une génération à l'autre, tout en intégrant des modalités nouvelles. Il en est de même pour le tressage, et pour les nombreux procédés de teinture, la broderie ou les applications de matériaux divers.
Quotidiens ou exceptionnels, profanes ou rituels, les tissus se retrouvent à tous les instants de la vie, dans le décor de l'habitat (tapis, tapisseries, couvertures, sacs...), comme supports de l'expression religieuse et dans le vêtement. A travers celui-ci s'affirment les identités régionales et sociales. Genres, âges de la vie, rites de passage, hiérarchies au sein d'une même société s'y expriment, ainsi que les relations entre hommes et dieux, entre vivants et morts. Tous ces tissus, précieux ou plus rustiques, émerveillent par leur inventivité décorative.
Chemins de couleurs, teintures et motifs du monde est la première exposition composée de pièces issues des collections textiles du musée du quai Branly.