Sophie Le Morvan et Michel Pincaut ont en commun d'investir la couleur, d'explorer ses limites quand l'usure la dégrade ou quand la lumière l'exaspère.
Si la plasticienne infuse ses images de pigments érodés, le photographe sature les siennes. La première fait des couleurs des cendres, le second fait déferler sur elles la lumière. La palette de Sophie est à chercher du côté des fresques altérées. Celle de Michel vient de l'art du vitrail et des bijoux barbares. Des fêlures travaillent le bleu qui baigne ses figures. L'une cherche la peau. L'autre cherche le ciel au fonds des puits. L'univers de Sophie est d'abord minéral. C'est celui des déserts que colorent les crépuscules. Par contre, ce sont les profondeurs marines qui fécondent les images de Michel.
Chacun vit l'aventure comme une errance tactile, comme une exploration, du bout des yeux, du bout des ongles, des creux et des aspérités. Ici, la forme diverge. Pour l'une, la mise à plat s'accompagne d'un éclairage diffus. Pour l'autre, le contraste est vigoureux. D'un côté, la volonté que, de la lumière ou de l'ombre, il ne reste que la trace. De l'autre, l'obsession du translucide. Sophie collecte. Michel découpe. Echo feutré de solennités disparues, battues par l'air ou la pluie, les étoffes de Sophie ont fini par échouer sur le sable. L'ocre reste fixé aux toiles qui sèchent. On s'interroge sur ces guenilles. D'où viennent ces voiles naufragées? Quelles femmes ont porté ces écharpes lacérées? Quant au photographe, c'est dans l'immensité du ciel ou de l'océan qu'il saisit des carrés d'azur ou de nuit. Il polit des pierres sombres. Il affûte des silex. Parfois, l'image se fragmente, comme la glace, au moment de la débâcle.
L'économie des moyens les rassemble. Tous deux refusent l'ordinaire perspective. Mais si, chez la première, le vent entraîne le regard vers le large, les images du second focalisent davantage. Entre transparence et opacité, entre éblouissement et effacement, on va de l'un à l'autre. L'iris a ces reflets de verre. Les dunes océanes ont ces tendresses. Dans le mouvement, le regard se surprend à craindre que la toile, comme les peintures étrusques qui, au contact de l'air, aussitôt disparurent, ne se désagrège. Et plonger dans les noirs bleutés du photographe provoque le vertige.
Le dialogue alterne les douceurs et les rugosités. Tous deux multiplient les déchirures. Ils explorent les failles où les choses basculent. Entre inquiétude et jubilation, Sophie Le Morvan et Michel Pincaut nous lient aux flux et aux reflux, aux fractures, à l'usure, aux renouvellements du monde et aux bouleversements. Leur souci est celui du signe qui se transforme, dans son émergence, ou dans sa disparition.