Gary Farrelly est un obsédé. Si l'on voulait jouer à faire de la psychanalyse, on pourrait facilement situer la naissance de son obsession à un moment précis de son enfance, quand il entre pour la première fois dans un aéroport. Une vision qui a valeur d'épiphanie pour le petit Gary : voilà un espace où circule le monde, où tout le monde circule ; une nouvelle Babel de visages, de langues, de signes. Et de messages « codés », qui défilent sur un immense panneau et ne demandent qu'à être décryptés...
Mais devons-nous vraiment nous accommoder d'une banale explication psy ? Pourquoi expliquer une obsession ? Allons plutôt découvrir son univers, comme on partirait en voyage. Pas de bagages, juste un petit guide avec des mots-clés : fétichisme, répétitivité, accumulation, rhétorique, ordre, utopie.
Sa nouvelle exposition à la Galerie W présente un travail « in progress » commencé en 2007. Comme dans l'ensemble de son œuvre, il est question d'aéroports, d'infrastructures, de frontières imaginaires, de tiroirs remplis de dossiers, de listes. Comme un enfant qui joue à réinventer le monde, Gary se transforme en architecte-créateur d'un monde nouveau, où les aéroports deviennent les nouvelles métropoles et les listes de passagers sont des bottins. Avec humour, il rebaptise ces nouveaux espaces avec les noms de ses héros. Voici donc apparaître dans cette nouvelle topographie : l'aéroport international Dalida, l'autoroute France Galle et la place des Marins Sexy.
Avec le sérieux qui sied à tout bureaucrate despotique et obsessionnel, Gary s'enferme tous les jours dans son minuscule bureau - son cockpit, comme il l'appelle - et dessine, colorie, coupe, colle, peint, transforme. Là où certains artistes jouent à soustraire, lui additionne, ajoute, cumule, recycle. Et de la même façon que son monde imaginaire prend forme et se développe, ses œuvres se dilatent en occupant les espaces de la Galerie : partout des tableaux de divers formats, des objets détournés, des cartes retravaillées, des meubles contenant d'énormes dossiers. Pas de matières nobles ici, plutôt des matériaux pauvres tels que le carton, la toile brute, des petites planches en bois, des pochettes en plastique, et des milliers de feuilles de papier qu'il recycle à sa guise. Et comme tout bureaucrate qui se respecte, il fiche et répertorie tout : même les petits bouts de papier qu'il découpe en forme de losange et qu'il numérote avant de les coller ensemble pour composer un nouveau tableau.
Dans son monde réglé et ordonné une utopie plus large que l'artiste prend vie : ici l'art n'est pas salvateur mais ordonnateur. Gary a besoin d'ordre pour ne pas sombrer dans ce qu'il appelle « le désordre chaotique de mon esprit ». Sur chacune de ses œuvres, en guise de signature, deux dates : 1983-2077. Gary est aussi certain de sa date naissance que de celle de sa mort. Il dit préférer les artistes morts aux vivants. Ou c'est simplement que dans son obsession de tout contrôler, il veut conjurer le sort qui nous attend tous. Mais il est optimiste : il compte bien vivre presque cent ans.