Depuis le 20 septembre 2011, au 22/24 rue de la Fontaine au Roi, la nouvelle galerie La Ralentie nous ouvre ses portes et ses visions. Retour sur l'histoire d'un projet porté par la psychanalyste Isabelle Floc’h.
A l’origine, tout est parti d’un désir de lieu. Cet espace aurait pour vocation de rassembler différents artistes autour de projets et d'histoires afin d'unir et de donner à une communauté de passionnés, la possibilité de servir ensemble une œuvre commune qui dépasse le lieu lui-même.
Cette galerie est donc le fruit de l’engagement de sa créatrice au sujet de l’art.
Isabelle Floc'h se montre assez critique envers une certaine interprétation de l'idée d'avant-garde et corrélativement du fonctionnement actuel de l'art contemporain. Plus explicitement,
Isabelle Floc’h conteste une attitude qui consiste à revendiquer la rupture,
« meurtre du père oblige… », attitude qui fait symptôme d’une volonté d’en finir avec la filiation. A
La Ralentie, on souhaite entre autre [re]assurer un lien à la filiation, là où il y a généralement un souci de rupture qui finit par faire croire à un art auto-fondé. Cette fiction d’en finir avec l’avant, cette résolution imaginaire d’un passé, prétendument anéanti, nous livre à un présent anhistorique. Ce lieu est voulu dans un présent enrichi et reconnaissant du passé, ce qui n’est pas forcément en contradiction avec l’idée de contemporanéité,
Cézanne parlait lui-même d’une tradition de la rupture.
Autre point de désaccord entre notre galeriste et une certaine façon de faire et de concevoir la place de l'art contemporain : la valeur de l'art ne doit pas être une qualité abstraite, mais doit bien plutôt résider dans sa capacité à nous mettre en rapport de manière inédite avec le réel et à faire naître en nous des émotions qui nous mènent vers l'ineffable et l'innommable. C’est dire finalement qu’à
La Ralentie, on se situe de manière critique face à une tendance interprétative, où prime la surcharge de sens, c’est-à-dire le décryptage interprétatif et forcené de ce qu’aurait voulu dire l’artiste.
La Ralentie, c’est un lieu blanc qui appelle au recueillement. Un lieu où les fenêtres seraient les œuvres elles-mêmes, ouvertures inédites sur d'autres mondes. Le seuil franchi, on laisse derrière soi la rumeur de la ville, la circulation, la frénésie. Il existe quelque chose comme une ligne de fracture entre l'extérieur et l'intérieur, espace neutre et silencieux : le visiteur entre dans une temporalité autre où le temps, à l'image du sens (et notamment de l'excès de sens qui caractérise la ville) est comme suspendu – d'où
La Ralentie. On peut se demander si cette volonté d'abstraction de l'espace urbain (la ville, c'est l'
Urbs, lieu de prolifération de sens, significations et valeurs plus ou moins galvaudés) parvient à son but, tant il paraît difficile et paradoxal de tenir les deux pôles de cette démarche, l'insertion dans la ville et en même temps une échappée radicale. On jugera qu'il y a dans cet inconfortable balancement, quelque chose d'une féconde dialectique. Il existe un parallélisme frappant entre la démarche d'
Isabelle Floc'h créant sa galerie comme un
« trou », selon ses propres termes, creux, lieu évidé dans la ville, et la démarche artistique elle-même, qui toujours part d'une absence qu'il reviendrait à la création de sublimer.
Isabelle Floc’h est donc
psychanalyste. En tant que telle, elle constate qu’une part trop belle est trop souvent faite aux intentions d’un artiste, comme nous l’avons déjà dit, dans le même sens elle estime que la
psychanalyse se trouve galvaudée, c’est-à-dire digérée et utilisée par l’ensemble du discours social. La
pensée psychanalytique vire au discours, un discours qui sert trop souvent à faire dire tout et n’importe quoi à l’œuvre créée.
« Il s’agirait bien plutôt de pratiquer une lecture attentive aux récurrences et leitmotivs qui jalonnent une œuvre, pour pouvoir se permettre l’audace d’une interprétation. Toute œuvre nous enseigne, il s’agit de se laisser enseigner par elle, sans prétendre la réduire ; œuvre toujours en excès d’un quelconque sens qui prétendrait la figer, étant entendu que pour l'artiste lui-même, vivre ne suffit pas » nous confie
Isabelle Floc’h durant notre entretien.
Cette prise de distance vis-à-vis de l’attitude qui consiste à traquer les intentions de l'artiste, est liée à la défiance face au narcissisme ambiant, qui finit par faire passer la personne avant l’œuvre.
Ce n'est pas un hasard si au fronton de la galerie, l’appellation
« Art & Pensée » souligne le nom de la galerie
La Ralentie comme pour aider à en mieux lire le nom – cela fait aussi écho aux rencontres thématiques qu'
Isabelle Floc'h organise le premier week-end de chaque mois : la lecture des textes est là encore
« mise au monde » et
« mise en voix », tentative pour retrouver la
« chair des mots », nouveau chemin vers le sens qui permet de s'affranchir des seules intentions conscientes de l'auteur.