Cette interview a été réalisée et diffusée en octobre 2005 sur notre magazine on line "Offline". Rediffuser un peu d'amour pour 2006 est une belle manière pour commencer l'année. Pour déclarer son amour, il a choisi l'anonymat, pour le propager, il l'écrit sur des bouts de trottoirs ça et là...
A partir de quand et pourquoi avez-vous recouvert d' « Amour » les murs et trottoirs de Paris ?
A partir du 11 septembre 2001. A cette époque là, j'écrivais de grosses déclarations d'amour à ma belle, j'écrivais « je t'aime » à la bombe sur les trottoirs. Je déployais beaucoup d'énergie à déclarer mon amour et je me suis dit le 11 septembre que quelque part, j'étais responsable aussi de la paix dans le monde, à mon niveau. J'ai réalisé qu'il était important que j'établisse la paix en moi et qu'à partir du moment où j'étais capable de le faire, je pouvais créer une émulation et aider les autres êtres humains à prendre conscience de leurs responsabilités. J'ai alors décidé de mettre mon énergie amoureuse au service d'un bien être commun en premier lieu. Donc j'ai lâché la bombe (rires), j'ai cherché quelque chose de plus pacifique, j'ai pris la gouache et plutôt que de marquer « je t'aime », j'ai décidé d'écrire « Amour ».
Dans votre quartier au début, vous avez ensuite investi Paris...
Oui, j'ai commencé dans le 14ème, puis ensuite chaque fois que j'étais à un endroit, j'ai écrit « Amour ». Aujourd'hui, il y en a beaucoup puisque ça fait maintenant quatre ans que j'ai commencé. Avant j'écrivais assez grand, maintenant j'ai réduit. Au début, il m'est arrivé d'écrire à la verticale, sur les cabines téléphoniques, par exemple, puis je me suis aperçu que c'était légalement un délit d'afficher sur un bien privé. Puis, dans la démarche, à la verticale, ça voulait vraiment dire « regardez-moi », alors que sur le sol ça dit juste « je suis là », puis comme c'est de la gouache, on peut le piétiner, l'effacer, l'enlever ou non ce n'est plus mon problème. Je continue à écrire quelquefois, mais moins qu'avant, à l'arrière des voitures, principalement sur les voitures étrangères, parce que la voiture va parcourir des kilomètres et propager le message. Les gens sont sur l'autoroute, par exemple, et se disent : « Tiens regarde, il y a marqué oe Amour oe sur la voiture devant nous », et ils parlent d'amour !
Quelles ont été les premières réactions sur votre démarche ?
Ce qui m'a touché, ce sont des témoignages de personnes que je ne connaissais pas. Certains m'ont dit avoir eu une période très noire, qui les avaient poussé dans d'extrêmes retranchements et avoir pu changé de voie, au regard de mon message, là où ils étaient, au moment où il allaient choisir la mauvaise issue. Plusieurs personnes m'ont remercié. Ça me fait quand même quelque chose de savoir que, grâce à moi, certains ont choisi de vivre. Sur Paris, j'ai eu cinq témoignages de ce type. Puis, cet été, j'étais en vacances à la Rochelle, j'ai tagué quelques voitures, et c'est marrant parce que, comme je suis resté un peu, j'ai vu que beaucoup ne voulaient pas effacer leur « Amour » et que certains même, ne voulaient plus vendre leur voiture (rires) !
Et personnellement, ça vous a libéré ?
Oui, ça m'a libéré de l'amour excessif que je pouvais porter à cette personne. Puis ensuite, des gens m'ont demandé d'apprendre à écrire « Amour » et actuellement il y a une dizaine de personnes dans Paris à qui j'ai appris et permis d'écrire « Amour » dans les conditions que je suggère. Toutes ces personnes m'ont déclaré que ça leur faisait un bien extraordinaire.
Pourquoi le choix de l'anonymat ?
J'essaie de taguer dans l'anonymat pour que mon action ne soit pas jugée et je sais que le jugement, qu'il soit sur moi ou sur mon travail, ne correspondra pas à la réalité. Donc, pour éviter ce genre de choses, j'essaie de taguer dans l'anonymat et la nuit. Il m'arrive de temps en temps de le faire le jour, si je vois une belle lumière et un bel emplacement, mais c'est plus rare. Je sélectionne des petits endroits où l'on ne va pas marcher dessus parce que ce qui est important dans l'univers, c'est de fixer les choses, même à un petit niveau, en fixant les choses, y compris dans la durée, il est possible d'avoir des conséquences positives. Donc, je tente de maintenir ces principes de vie et de les mettre dans mon travail. Aussi, quand on me demande d'apprendre à écrire « Amour », j'accepte de donner cette formation. On m'a demandé, par exemple, d'aller en Irlande, en Asie, l'important pour moi, c'est de répondre à cette demande et pas d'être vu à la télévision. Je souhaite être utile, et dieu sait qu'il y a des endroits dans le monde où il y a la nécessité de ce message d'amour. L'être humain est capable d'amour, il faut juste qu'il le comprenne. L'amour c'est chaud, c'est doux, ça fait pas mal, mais les êtres sont souvent dans des relations d'attachement, de peur de perdre, ce sont les égos qui parlent, et l'ignorance également. Avec un tout petit peu d'ouverture des yeux et du c'ur, il est possible de déceler l'amour et de le mettre en pratique aujourd'hui, en sachant que la vie est extrêmement courte et que c'est une bénédiction d'être en vie. Et pour finir sur l'anonymat, c'est véritablement la base spirituelle de ma réalisation.
Vous êtes devenu célèbre pour le grand public de façon anonyme, mais est-ce que ça vous a permis professionnellement de mettre en avant votre travail de plasticien ?
J'ai eu plutôt de la chance à ce niveau-là. Quand j'ai fait ma première exposition à l'âge de 14 ans, j'ai tout vendu. Mon travail a toujours plu. J'ai eu beaucoup d'expositions en quarante ans, j'ai du arrêter de peindre selon mes goûts à un moment parce que les circonstances ne le permettaient plus, donc j'ai réduit mes exigences et j'ai découvert de nouvelles formes comme la photographie. Actuellement, j'en fais beaucoup et j'ai la chance que mes photos se vendent bien à travers le monde. Je vais faire partie ce mois-ci d'une exposition consacrée aux écritures amoureuses à la galerie Anne Vigniale dans le 3ème. Mais, il faut savoir, qu'il n'est absolument pas question pour moi de retirer aucun profit de mes inscriptions d' « Amour ». On m'a fait beaucoup de propositions pour acheter le concept, quelquefois de gros chèques, et j'ai toujours refusé. Chacun fait ce qui veut, mais moi je ne veux pas qu'il y ait de récupération commerciale avec mon tag. En revanche, ce que je fais ce sont des photographies de mes tags, que je retravaille et c'est l'image finale que je vend ou que j'expose, ce n'est pas le concept. Puis, plusieurs fois par semaine, je fabrique une image spéciale que je donne à un certain nombre de contacts sur Internet, ça me permet de pratiquer cette loi du don, primordiale pour moi. Plus je donne et plus je reçois, ma vie c'est l'abondance !
Puis, vous avez une autre activité, l'organisation de soirées Slam ?
Oui, depuis la venue du Slam à Paris parce que pour moi, c'est un instrument démocratique. C'est de l'ordre du bien-être commun. Chacun prend la parole pour dire un texte de façon très libre. Les années précédentes, je consacrais une partie de mon temps à l'expression théâtrale et poétique, et j'ai fait mon premier Slam à Belleville, j'ai pris le micro pour dire des textes de Dimey. Ensuite, je me suis mis à écrire des textes sur ma propre vie, à les dire. Puis, je me suis aperçu que j'avais tendance à me mettre trop en avant, j'ai eu envie de me mettre au service des autres, et j'ai décidé d'ouvrir des scènes Slam. Il y en a eu beaucoup, et maintenant j'en maintiens deux, aux Cariatides et à l'Entrepôt. L'art doit être offert et organiser ces soirées s'intègre totalement à ma démarche, c'est dans le domaine du partage.
Soirées Slam, « un texte dit, un verre offert »,
Le premier lundi de chaque mois, aux Cariatides, 3, rue Palestro, 75003 Paris.
Le premier mardi de chaque mois, à L'entrepôt, 7/9 rue Francis de Pressensé, 75014 Paris.
Propos recueillis par : Angélique Lagarde