Comment l'idée de La Marcheuse vous est-elle venue ?
N.M : Ayant pris part à une mission de Médecins du monde qui apporte du soutien aux prostituées chinoises, je connais bien cet univers. J'ai toujours été intéressé par la manière dont la domination sociale et économique marque les corps, les désirs et influe sur les rencontres entre les individus. Mon engagement personnel à ensuite 'rencontré' mon travail de cinéaste et cela a donné La Marcheuse.
Y a-t-il certains pans de la réalité que vous ne montrez-pas dans votre film ?
N.M : Bien entendu. Dès lors qu'il s'agit d'une fiction, l'histoire contée est subjective et particulière. Le personnage de Lin est certes le porte-parole de toutes ces femmes, mais il y a autant d'histoires qu'il y a d'individus. Si je n'ai pas pu rendre compte dans le film de tout ce que j'ai pu voir, la violence montrée est bien réelle. J'ai davantage insisté sur la brutalité sous-jacente des rapports humains que sur la violence physique, laquelle peut être aveuglante.
Vous avez déclaré que La Marcheuse était un film sur les rapports de forces à l'œuvre dans la société ; mais ne s'agit-il pas plus d'une œuvre traitant des liens d'interdépendance entre les individus ?
N.M : C'est juste, mais étant donné que ces liens d'interdépendance sont inégalitaires, ils entrainent nécessairement des rapports de forces. Ces femmes prostituées sont considérées comme en marge de la société car leur situation est incertaine ; mais ce film m'a permis de dire qu'elles font en réalité partie intégrante du tissu économique et social.
Vous n'avez pas arrêté la circulation pendant le tournage, ce de manière à laisser le quartier vivre : avez-vous rencontré des problèmes ?
N.M : Le choix de ne pas stopper la circulation était avant tout budgétaire mais aussi esthétique : plutôt que de créer une sorte de 'Belleville de pacotille', nous avons mis en scène les véritables habitants du quartier. Nous avons tout de même tourné légalement et disposions de toutes les autorisations. Toutefois, nous n'avions pas le droit de poser de pieds de caméra ; d'où un tournage très mobile ! Enfin, un travail en amont auprès des commerçants a été réalisé par l'équipe de production afin de les prévenir que nous allions tourner. Je me suis moi-même chargé d'approcher les travailleuses du sexe que l'on voit à l'écran. Leur plus grande appréhension était que leurs familles en Chine découvrent leur activité. D'abord méfiantes, elle se sont senties de plus en plus concernées par le projet, donnant même des conseils à l'actrice principale.
Est-ce que le fait de ne pas prendre de figurants a engendré des problèmes de droit à l'image ?
N.M : Nous avons demandé la permission aux personnes que nous avons filmées d'utiliser leur image. D'autre part, nous avons fait attention a ne pas filmer de face certaines personnes ; par exemple ceux qui abordaient Qiu Lan en pensant qu'elle était une véritable prostituée !
Comment s'est passé le casting ?
N.M : Je n'avais pas d'idée précise de l'actrice que je cherchais et j'ai donc rencontré plus d'une centaine de femmes. Je savais que j'allais très probablement prendre une actrice non professionnelle et que la question de la nudité et de la prostitution serait peut-être délicate. Qiu Lan a su se glisser progressivement dans la peau du personnage et je suis très satisfait de mon choix. Cela s'est passé différemment avec Yannick Choirat : je connaissais déjà son travail et j'avais toujours eu l'idée de le faire tourner. Il a un charisme sombre que j'aime beaucoup. Après un premier essai qui ne m'a pas tout a fait convaincu, nous avons beaucoup discuté du personnage et Yannick a su s'imposer.
Quel matériel avez-vous utilisé ?
N.M : Nous avons tourné en numérique : je voulais éviter une image trop naturaliste. Avec mon chef opérateur, nous avons utilisé de vieilles optiques que nous avons combinées à la caméra numérique: l'image qui vient frapper le récepteur vidéo est donc légèrement vieillie et abimée.
Comment avez-vous financé le film ?
N.M : La Marcheuse a été fait avec peu d'argent. Nous avons bénéficié de l'avance sur recette du CNC et de l'aide de Région Ile de France. Concernant l'exploitation du film, l'avenir nous le dira, mais je suis d'ores et déjà comblé d'avoir pu le réaliser !
Que retenez-vous de ce tournage ?
N.M : Comme nous n'avions pas beaucoup d'argent, le tournage s'est fait très vite. J'aimerais donc avoir plus de temps pour tourner à l'avenir. Le scénario initial de La Marcheuse ne correspondait pas au budget disponible : j'ai donc du simplifier le film afin de le tourner. Je voudrais pouvoir expérimenter plus de choses encore dans mes prochains travaux.
Quels sont vos projets à venir ?
N.M : Je travaille sur un autre film qui ne traitera ni d'immigration ni de prostitution mais qui portera sur les interrogations qui me sont chères : la manière dont le social a un impact sur l'intime. La Marcheuse est une œuvre cloisonnée, urbaine et granitique ; mon prochain film sera tourné à la campagne et mettra à l'honneur les grands espaces.
Infos pratiques :
La Marcheuse
En salles le 3 février 2016
Séances
Dates et Horaires
Du 3 février 2016 au 3 avril 2016