Il y a certaines aventures qui font rêver, mais encore faut-il oser se lancer. Linda Bortoletto a franchi le pas, au point d’en faire sa nouvelle carrière. Depuis maintenant une dizaine d’années, cette exploratrice, comme elle se qualifie, parcourt les endroits méconnus et reculés du globe où la nature sauvage prend tout son sens. « J’aime aller dans des endroits où peu de personnes sont allées, or des terrains battus. Lorsque je suis dans la nature, je n’ai pas l’impression d’être seule. Bien au contraire, j’ai l’impression d’être connectée au tout ».
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« Si je veux devenir qui je suis, c’est maintenant et pas demain »
À travers ses voyages extrêmes, Linda est en quête spirituelle. Son objectif ? Devenir qui elle est vraiment. Il faut dire que cette Française aux origines indonésienne et italienne n’est pas très tendre en évoquant la « première partie de sa vie ». C’est à 20 ans qu’elle décide de s’engager dans l’armée de l’air. Elle poursuit alors une carrière militaire prometteuse, en tant que capitaine de gendarmerie puis haut fonctionnaire au ministère des Finances.
Mais un drame personnel vient tout remettre en question. À 28 ans, Linda perd son père et se retrouve alors confrontée à la mort. La jeune femme prend conscience que la vie peut basculer du jour au lendemain. Ce décès est un véritable déclic pour Linda qui admet s’être égarée, au point d'être devenue une étrangère pour elle-même. « Je découvre que la personne que je suis devenue ne correspond pas à ce que je suis. Et si je veux devenir qui je suis, c’est maintenant et pas demain » admet-elle. Alors, l’ancienne militaire ouvre peu à peu les yeux et décide de tout envoyer balader au bout de deux ans d’introspection. À 30 ans, Linda démissionne, divorce et renoue avec ses rêves d’enfant : partir à l’aventure et voyager vers l’inconnu sans se poser de questions.
Un premier voyage à l’autre bout du monde
Pour sa première grande exploration, Linda ne fait pas les choses à moitié. « Comme je me suis rendu compte que ma raison et mon côté très cartésien m’avaient égarée, cette fois-ci je me suis dit que j’allais écouter mes émotions ». Avec la furieuse envie de partir à la découverte de grands espaces et de nature sauvage, la voyageuse et écrivaine se pose devant une carte du monde. Ses yeux survolent alors le Kamchatka, cette péninsule à l’extrême orient de la Sibérie, connue pour son côté extrême. « À ce moment-là, je ressens une sorte de joie soudaine qui m’indique que je dois aller là-bas ». Elle restera un été sur place aux côtés des Tchouktches, ce peuple nomade de tradition chamanique et éleveurs de rennes, avant d’y retourner trois ans plus tard, en plein hiver cette fois-ci.
Suivront d’autres explorations toutes aussi belles et enrichissantes intérieurement, comme l’Alaska où elle parcourt 1200 kilomètres en vélo à l'aube de l'hiver. Elle y rencontre alors un messager du peuple Aléoute, qui lui enseignera la sagesse de ses traditions. Au Zanskar, en Himalaya, Linda fait la connaissance de nonnes bouddhistes à plus de 4500 mètres d'altitude. Ces dernières lui transmettront la sérénité. Au Kirghizistan, l’aventurière repousse ses limites et alterne 800 kilomètres de course à pied et 800 kilomètres de vélo. En Israël, elle traverse le pays pendant plus de 2 mois à pied sur plus de 1 000 kilomètres et y côtoie des gens qui ont « énormément souffert dans leur passé, mais qui ont eu la force de pardonner et de continuer à vivre malgré cela ».
Pour chacun de ses voyages, Linda part seule. Pour autant, la peur ne fait pas partie de son vocabulaire. « Je n’ai jamais peur parce que c’est un désir qui est plus fort que tout. C’est mon plaisir, une passion, c’est ma raison de vivre et d’être ». Au cours de ses multiples expéditions, elle rencontre d’ailleurs davantage de femmes voyageant seules que d’hommes. « Le problème n’est pas de voyager seule, mais d’être une femme dans ce monde. » C’est un fait. Les exploratrices sont bien moins médiatisées. « C’est une réalité, mais dans tout ». Si Jean-Baptiste Charcot, Jean Malaurie ou encore Jean-Louis Étienne et Mike Horn sont connus de tous, les exploratrices telles que Louise Arner Boyd, Ann Bancroft, ou encore Alexandra David-Néel et Ella Maillart, deux inspirations que Linda cite volontiers, le sont beaucoup moins. Pourtant, Linda Bortoletto a le sentiment que ces explorations lui ont apporté « une confiance en tant que femme, une force intérieure » à vouloir transmettre et renouer avec sa féminité, « avec ce sens de l’écoute, ce sens de la communication et l’amour de soi, l’amour des autres, l’amour de la vie ».
La Cordillère des Andes : « le but de ce voyage était de me reconstruire après cette agression que j’avais vécue »
Mais tout aurait pu s’arrêter lors de son voyage en Turquie. Au cours de l’été 2019, Linda se lance dans une longue marche seule dans les montagnes isolées d’Anatolie centrale, lorsqu’un homme tente de la tuer et de la violer. « Là, on n’a pas le temps d’avoir peur parce que c’est hyper rapide, violent et brutal ». Finalement, Linda réussira à s’enfuir et à prévenir les secours. Mais l’aventurière reste profondément marquée par cette agression sexuelle. Plusieurs mois de thérapie seront nécessaires pour gérer ce stress post-traumatique, avant finalement de repartir vers une nouvelle aventure, seule à nouveau. « Dans ces cas d’agressions sexuelles, on met beaucoup en avant la parole, et c’est très bien. Mais un moment, j’en ai eu assez de parler, et j’avais envie de retrouver mon corps. C’est mon corps qui m’a fait sentir que je devais marcher à nouveau. »
Cap donc vers la Cordillère des Andes, au Chili. « Le but de ce voyage était de me reconstruire après cette agression que j’avais vécue, et de retrouver la confiance que j’avais en moi ». La voilà donc partie dans ce périple de résilience à l’assaut de l'un des treks les plus difficiles de la planète, le Greater Patagonian Trail. Ce dernier voyage reste d’ailleurs l’un des plus beaux entrepris par l’aventurière jusqu’ici. « Une pureté » dit-elle, entre les volcans au nord, puis le côté très aride, les forêts impénétrables, sans oublier la Patagonie, le bruit des glaciers qui craquent dans la nuit, et les lacs isolés. Ce voyage est d'ailleurs le thème de son dernier ouvrage intitulé « Le souffle des Andes » (parution le 3 mars 2021 aux éditions Payot). L’écrivaine se dévoile un peu plus en revenant sur cette fascinante traversée du Chili dans le but de « se purifier » après son traumatisme vécu en Turquie.
Avec cette force de caractère indéniable et cette perpétuelle quête spirituelle, Linda fascine et inspire. « Le pouvoir est en nous. On a tous un talent naturel ». Le plus dur est finalement peut-être de se lancer et s’affranchir des codes traditionnels inculqués depuis notre plus tendre enfance.
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Pulvériser le record féminin du Vendée Globe, parcourir 1200 kilomètres en vélo en Alaska, créer le premier concours international de chefs d’orchestre réservé aux femmes… A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, SORTIRAPARIS vous plonge dans ce reportage au cœur des passions, engagements et aventures portés par ces femmes au destin exceptionnel. Interviews exclusives.