Dans cette belle interview d'Uberto Pasolini, on découvre que l'intime se mêle rapidement à l'artistique, même au cœur d'un synopsis fort éloigné de la vie du réalisateur...
Sortir à Paris : Vous avez réalisé un film très humaniste ; est-ce que vous pouvez nous parler de l’aventure humaine qui vous a inspiré ?
Uberto Pasolini : Oui, vous l’avez bien dit, ça a été pour moi une aventure humaine. C’est-à-dire que c’était comme une vraie aventure : on démarre et on ne sait pas où on va arriver. Au départ, une interview d’une femme qui fait le travail de notre personnage principal, c’est-à-dire qu'elle s’occupe des gens morts dans la solitude, à la mairie de Westminster. Dans cette interview, elle parlait des milliers de funérailles chaque année en Angleterre où il n’y a absolument personne. L'idée de ces hommes abandonnés au moment de leur enterrement m’a intéressé. Je suis allé la voir et j’ai passé 6/7 mois avec des gens qui font le même travail qu'elle, dans d’autres mairies. J’étais présent à des funérailles, des crémations, à des visites dans des maisons où les gens étaient morts : ce sont des moments très forts parce que, dans le cadre de ces visites, on cherche dans les affaires des morts quelque chose, des indications de connections humaines. Souvent, dans la majorité des cas, on ne trouve rien, on trouve des numéros de téléphone qui n’existent plus, ou des noms de personnes qui sont déjà mortes, ou rien. Mais en même temps, dans cette maison, la présence humaine de la personne qui n’est pas là est plus forte encore que si la personne était encore vivante et était là, devant vous. Dans le même temps, je suis allé à plusieurs funérailles où j’étais la seule personne présente. Comme notre personnage principal, il y a des gens qui font ce travail avec la même humanité, le même sentiment de l’importance de la mémoire, de reconnaître le passage de quelqu’un sur la terre, mais il y a aussi des gens qui travaillent avec un esprit très bureaucratique, un esprit d’aujourd’hui, de rentabilité, qui se donnent deux semaines pour chaque situation, chaque client, et si dans les deux semaines, ils n’ont pas eu de réponse, ils ferment le dossier et organisent une crémation. Et souvent, ils n’assistent pas à l’enterrement. Alors je me suis trouvé parfois dans la situation suivante : moi, le cercueil, le prêtre, et personne d’autre. Et c’est une situation très puissante. Vous entrez dans les derniers moments de quelqu’un qui ne vous connaît pas : est-ce que vous avez le droit de faire ça ? Et en même temps, vous vous sentez représentant de cette famille qui n’est pas là, de cette société qui a oublié ces gens pendant les derniers temps de leur vie. Le film, que j'ai commencé comme une enquête, loin de ma situation hyper-privilégiée, est devenu une enquête sur mon esprit, sur mes sensations, mes sentiments vers l’autre. À cela, s’ajoute le fait qu’il y a 6 ans, j’ai divorcé, et, après 30 ans de vie commune, j’ai redécouvert la solitude. Il y a des jours où je rentre dans une maison vide : pour moi c’était une nouvelle expérience. J’ai ressenti cette solitude. Donc j’ai mis beaucoup de moi-même, de mes pensées dans le film, sans forcer, c’était quelque chose de naturel. J’ai comme vomi mes sentiments dans l’histoire. Je ne sais pas si j’ai appris quelque chose, mais j’ai mis beaucoup de moi-même dans le film, surtout dans le personnage principal, qui est plus simple, plus drôle, à être très maniaque, très organisé…
Sortir à Paris : Alors vous êtes aussi maniaque que lui ?
Uberto Pasolini : Je suis aussi maniaque, même plus maniaque que notre personnage principal ! Et en même temps, je lui ai donné toute cette générosité que je n’ai pas du tout, mais je reconnais que je ne l’ai pas. Alors le personnage a beaucoup de moi-même, entre ce que je suis et ce que je ne suis pas.
Sortir à Paris : Comment avez-vous travaillé les couleurs qui changent et qui passent du gris à une très belle luminosité à la fin du film ?
Uberto Pasolini : Une des premières choses que nous avons du étudié était : quelle langue, quelle grammaire allons-nous utiliser pour raconter notre histoire ? Je décidai tout de suite que nous devions utiliser une grammaire très délicate. Un volume très bas, très silencieux. Et on a fait ça avec tous les ingrédients du film : la caméra, qui ne bouge presque jamais, se met à bouger un petit peu, au fur et à mesure de la vie de John May, lorsqu’il découvre de nouvelles expériences. Et pour la couleur, on a fait la même chose : on a commencé le film presque en noir et blanc, avec des couleurs très pâles, très froides, et puis on a commencé à ajouter, dans le décor ou dans l’image, de la couleur. On a fait la même chose avec la musique : pas beaucoup au début, un peu plus à la fin. Mais la chose la plus importante était d’avoir quelqu’un qui restait toujours vrai, qui pouvait communiquer son humanité sans jouer un rôle, sans grands moments d’action, de générosité, de jeu d’acteur. Et s'il y a quelque chose de bon dans le film, je crois que c'est le travail d'Eddie Marsan, qui est un acteur très doué et généreux. Pour lui, travailler dans un film c'est servir l'histoire, ce n'est pas une occasion pour montrer son talent. Il est génial. Il est connu dans le monde du cinéma et est surtout utilisé pour des rôles forts, soit dans la comédie (au volume très haut), soit dans le drame (où il joue souvent des personnages violents). Je savais qu'il était capable de jouer avec le silence : pour moi c'était très important d'entrer dans la tête du personnage principal sans une série de dialogues entre le personnage principal et les autres qui nous expliquent ce qui se passe dans sa tête. Non, je voulais un contact direct entre le personnage et le spectateur, c'est-à-dire moi-même, car le film est avant tout pour moi-même, avant d'être pour les spectateurs. Je ne voulais pas de barrière. Cela devait être direct, sans dialogue et en même temps extrêmement communicatif. Et je crois qu'il est arrivé à faire cela d'une façon très forte.
Sortir à Paris : Comment l'avez-vous dirigé ? L'avez-vous laissé un peu libre ?
Uberto Pasolini : La première chose que l'on a fait c'est d'essayer de reconstruire le ton, la façon d'être, que j'avais dans ma tête depuis l'écriture. Ça, c'était simple, car Eddie, entre talent et technique, arrive immédiatement à vous comprendre. Et c'était comme travailler avec un instrument de précision : on lui dit "hum", et c'est tout (il fait un tout petit geste de baisse de volume, NDLR). Mais vraiment, seulement ça, c'était tout ce qu'on avait à lui dire : comme en général, on lui dit de faire "HUM" (fait le signe d'une grosse augmentation de volume, NDLR), là c'était plus intéressant. Mais bien sûr, ce que l'on ne peut pas vraiment gérer, c'est que, même si j'étais capable d'avoir avec lui le même ton que celui que j'avais dans la tête, il y a une réalité humaine du personnage qui vient complètement d'Eddie : j'avais créé un personnage, Eddie nous donne une personne. Génial.
Sortir à Paris : Est-ce qu'il y a une morale du film par rapport à la société actuelle ?
Uberto Pasolini : Non. C'est-à-dire que, comme ce film est un voyage tout à fait personnel, je ne suis pas dans la position d'expliquer au monde comment il faut vivre. Il n'y pas de message, pas de leçon, je suis la dernière personne qui puisse donner des leçons à quiconque. Juste, peut-être, de s'ouvrir un peu plus. La chose la plus présente dans mes pensées, c'est mon incapacité à m'ouvrir aux autres. Je suis une personne très curieuse et je suis intéressée par votre vie, par exemple. J'aimerais savoir ce qui se passe dans votre vie, avec vos amis, dans votre travail, et je pourrais passer trois heures à parler de vous. Mais si vous me posez une question sur moi, j'ai tendance à fermer la porte. Je me suis rendu compte que c'était bien plus simple d'être curieux que d'être généreux. Si je peux espérer quelque chose, ce serait que, sur les milliers de gens qui iront voir le film, il y aura au moins un spectateur qui ira frapper à la porte du voisin en rentrant chez lui. Ou mieux, que si quelqu'un frappe à sa porte, qu'il la lui ouvre. C'est ça la générosité : c'est quelque chose que je n'ai pas mais je la comprends.
Sortir à Paris : Et, pour nos lecteurs parisiens : quel est votre endroit préféré à Paris ?
Uberto Pasolini : Mon endroit préféré à Paris ? Uhhh ! Impossible !! Trop difficile. (Il réfléchit, NDLR) J'ai des souvenirs de promenades avec ma mère à Paris, au musée Jacquemart-André. Il y a 50 ans que je n'y suis pas retourné car je ne veux pas toucher au souvenir de ma promenade avec ma mère... Alors, oui c'est mon endroit préféré, mais c'est un rêve, un souvenir, pas une réalité.
Bande-annonce :
Informations pratiques :
Une Belle Fin
En salles le 15 avril 2015