La crise sanitaire a fortement paralysé l’économie française, touchant plus durement certains secteurs comme ceux du tourisme, de l’événementiel, et de l'hôtellerie-restaurant sans oublier celui de la culture. Le 30 avril dernier, Le Monde publiait une tribune réunissant les signatures de plusieurs artistes issus du monde du cinéma, du spectacle ou encore de la musique. Tous réclament la prolongation des droits des intermittents. Suite à cet appel, le chef de l’Etat Emmanuel Macron a fait plusieurs annonces le 6 mai pour soutenir le monde de la culture.
A quoi faut-il s’attendre alors que les salles de concerts, les théâtres, les cinémas ainsi que les clubs et lieux festifs ont dû fermer leurs portes le 14 mars dernier ? A quand la réouverture des salles de concerts et dans quelles conditions ? Et quel avenir attend le secteur musical ? On fait le point.
Le Premier ministre Edouard Philippe s'est exprimé le 28 mai afin de présenter la phase 2 de son plan de déconfinement. Outre la réouverture des parcs et jardins, des musées, des théâtres ou encore des restaurants, cafés et des bars, il a indiqué que les salles de spectacles et de concerts pourront rouvrir à partir du 2 juin dans les zones vertes. Le Premier ministre a précisé que le port du masque y sera obligatoire et que "les règles de distanciation physique devront y être respectées par une organisation spécifique des places assises, une gestion des flux conforme au protocole sanitaire". Pour Paris et l'Île-de-France, les salles pourront rouvrir dès le 15 juin, dans la mesure où tout le territoire, à l'exception de Mayotte et de la Guyane, passera dans la « zone verte » à compter de cette date. En revanche, lors de sa dernière allocution, le président a fait savoir que les rassemblements devront rester très encadrés, car "ils sont la principale occasion de propagation du virus" a-t-il rappelé.
Annulations de concerts en série depuis le 29 février
Depuis le début de la crise sanitaire, les concerts et spectacles musicaux sont à l’arrêt. Le gouvernement avait en premier lieu interdit les rassemblements de plus de 5 000 personnes avant de réduire cette interdiction à 1 000 puis à 100 personnes.
Tous les grands concerts ont été annulés. Si certains ont d'ores et déjà été reportés (Roméo Elvis, Nick Cave, Dua Lipa, Harry Styles, Queen + Adam Lambert, Maluma...), d'autres sont encore en attente de nouvelles dates officielles (Céline Dion, Paul McCartney, Björk, Iron Maiden... ). Sans surprise, toutes ces annulations ont laissé les spectateurs dans un grand désarroi, avec aussi, bien souvent, des difficultés pour se faire rembourser.
Et les pertes financières pour le secteur musical sont colossales. Ainsi, selon une étude confiée au cabinet EY par Prodiss, le Syndicat National du Spectacle Musical et de Variété, la perte totale du chiffre d’affaires (recettes de billetterie, contrats de cession de spectacles, locations de salles, recettes annexes de bar, restauration, sponsoring...) est estimée à près de 600 millions d'euros (sur la période du 1er mars au 31 mai). En raison de la prolongation des interdictions et des annulations des grands festivals de l'été, le coût total risque donc de gonfler encore davantage. Le Prodiss rappelle que "l'économie du secteur représente près de 5 milliards de chiffre d'affaires et 135 000 emplois".
Et les petites salles de concerts sont certainement encore plus en danger que les grosses structures. Frédérique Magal, directrice du Point Ephémère dans le 10ème à Paris, nous confie "Il est difficile d’éviter le jeu de mot, mais le Point éphémère est désormais au point mort. Compter le nombre d’événements annulés et/ou reportés n’est plus réellement utile sauf à se faire mal. Je pense que nous devons être à une centaine de manifestations, de concerts et de spectacles, d’expositions, de vente caritatives, de conférences annulés.... et derrière ces événements, il y a des femmes et des hommes dont le travail est momentanément effacé d’un coup de confinement".
Pas de grands festivals et d'événements de plus de 5 000 personnes avant septembre
Le Hellfest, les Vieilles Charrues, Solidays, Lolla Paris, Garorock, Beauregard, les Eurockéennes, le Main Square, les Francofolies, We Love Green… la liste des festivals d’été annulés en France est longue, très longue. Lors de la présentation de son plan de déconfinement, le Premier ministre Edouard Philippe a indiqué que « tous les événements de plus de 5 000 personnes sont interdits jusqu'en septembre ». Une douche froide pour tous les acteurs du milieu qui travaillaient sur la programmation depuis de nombreux mois.
Mais cette interdiction concerne aussi les grandes salles de spectacle dont la capacité dépasse les 5 000 personnes. On pense bien sûr à Paris La Défense Arena, l’AccorHotels Arena, le Zénith de La Villette et la Seine Musicale.
Et quid des petites salles de concerts et des petits festivals ?
Le 16 avril 2020, le ministre de la culture Franck Riester avait indiqué que des "petits festivals" pourraient avoir lieu après le 11 mai 2020. "Si des festivals sont adaptés à des jauges petites et qu’il n’y a pas de problème de sécurité, nous les accompagnerons" avait-il précisé. Une annonce qui avait fait réagir le milieu du spectacle, en suscitant une certaine confusion. Le jour même, le Prodiss appelait le ministre de la Culture à clarifier la situation. Dans un communiqué, le Syndicat indiquait : "cette déclaration plonge l’ensemble du secteur du spectacle dans la plus grande confusion : festivals, producteurs de concerts, artistes et spectateurs sont dans l’incompréhension."
Lors d’une audition au Sénat, le ministre de la Culture a apporté quelques précisions à ce sujet : "C'est certain qu'un grand rassemblement, une fosse avec 3 000 personnes, les uns sur les autres, ce n'est pas imaginable. Par contre, un petit festival rural, avec une scène, un musicien et 50 personnes, qui sont à un mètre les unes des autres, sur des chaises, et qui ont un masque, et en rentrant sur le site, la possibilité de se bien se laver les mains avec des produits spécifiques : on pourra tenir ces festivals-là".
De petits événement musicaux et festifs pourront-ils alors avoir lieu cet été ? Pour le moment, personne ne le sait mais Frédérique du Point Ephémère espère pouvoir envisager "des « petits » événements en extérieur cet été quand le ministère de la culture pourra préciser ce que signifie « petit »" nous a-t-elle confié.
Alors, face à tant de questions qui restent encore sans réponse, le gouvernement soutient-il suffisamment le monde de la culture et le secteur musical ? "Nous sommes actuellement aidés et c’est formidable grâce au chômage partiel. En revanche, le soutien du ministère de la Culture est totalement inexistant pour des équipements comme les nôtres. Nous attendons les mesures que devrait annoncer Emmanuel Macron mercredi" nous a expliqué Frédérique.
Le 4 mai, dans les colonnes de Télérama, Christophe Girard, adjoint chargé de la culture à la Mairie de Paris, a confié préparer le mois d’août de la culture où seront présentés "des concerts, de la danse, du cinéma, des installations et des spectacles, en extérieur surtout, dans les parcs, jardins et sur de petites places".
Les conclusions et recommandations du rapport du professeur Bricaire
Afin de déconfiner le secteur de la culture dans les meilleures conditions possibles, le gouvernement a fait appel au professeur François Bricaire. Cet infectiologue a remis à l'exécutif son rapport, élaboré sous la houlette du groupe de protection sociale Audiens.
Après avoir consulté diverses institutions du monde culturel, comme le Moulin rouge et l'Opéra de Paris, le professeur François Bricaire a dévoilé ses recommandations pour la réouverture prochaine des salles de spectacles. Il s'agit tout d'abord de maintenir les gestes barrières, et rendre le port du masque obligatoire ou non, selon le niveau de déconfinement. A noter que ce rapport distingue les lieux clos des lieux ouverts, comme les festivals, et des lieux sans spectateurs, comme les répétitions de spectacles vivant et les tournages.
Autres recommandations : la mise à disposition de solutions hydroalcooliques à toutes les entrées de la salle, des règles d’aération comme par exemple laisser un temps d’aération entre deux séances. En cas de climatisation, veillez à bien changer régulièrement les filtres.
Concernant les règles de distanciation, le rapport préconise une distance d'un mètre à un mètre cinquante entre chaque spectateur, et l'organisation de la sortie par rangées ou "par tout autre méthode garantissant le respect des règles de distanciation".
Enfin, pour éviter des rassemblements, il est recommandé de supprimer les bars et buvettes ainsi que les entractes, "sauf si il est aménagé de telle sorte que la distanciation est constamment respectée". Un marquage au sol dans les toilettes et leurs accès est aussi demandé.
Le professeur Bricaire n'oublie pas non plus les musiciens de l'opéra par exemple, en détaillant les précautions particulières à prendre pour les instruments à vents notamment, susceptibles de projeter des gouttelettes d’eau, et donc de propager le virus. Dans ce cas précis, les instruments devront être soigneusement nettoyés avant et après chaque utilisation. De plus, il est demandé de privilégier la séparation des musiciens à vent entre eux et "par rapport à ceux à cordes qui peuvent porter des masque". Pour la protection autour du musicien à vent, le rapport recommande de l'isoler derrière des panneaux transparents au son et à la lumière.
Un secteur en difficulté qui menace directement les travailleurs du spectacle
Avec la fermeture des salles de concerts et des lieux festifs puis l'annulation des festivals, les intermittents et autres travailleurs du spectacle sont les premiers touchés. Selon une étude EY/Prodiss, 20 400 artistes et techniciens engagés en CDD d’usage se retrouvent aujourd'hui menacés par cette crise sanitaire et cette situation. S’y ajoutent 8 506 personnes employées de façon permanente au sein des entreprises de production, diffusion et d’organisation des spectacles et des festivals.
Et les intermittents du spectacle, dont le nombre est estimé à 270 000 en France, sont encore plus fragilisés. Parmi eux, Enzo. Dans le milieu depuis une dizaine d'années, il nous a fait part de ses inquiétudes pour la suite. "On a arrêté de travailler bien avant le confinement puisque notre activité a été réduite dès le 29 février avec l'interdiction des concerts de plus de 5 000 personnes. On ne va pas reprendre avant des mois, donc ça correspond à 6, 7 ou 8 mois d'arrêt sans aucune possibilité. On ne sait pas trop ce que ça va être la suite" explique-t-il.
On ne va pas reprendre avant des mois, donc ça correspond à 6, 7 ou 8 mois d'arrêt sans aucune possibilité. On ne sait pas trop ce que ça va être la suite - Enzo, intermittent du spectacle
S'il a une perspective de reprise le 29 août grâce au Tour de France, c'est loin d'être le cas pour de nombreux autres intermittents, notamment pour celles et ceux qui font de la tournée. Selon lui, cette reprise pourrait ne pas se faire avant 2021. "Toutes les opé, même celles prévues aux mois de septembre et d'octobre sont en train de sauter. Personne ne sait quand et comment ça va reprendre" rajoute-t-il, avant de nous confier qu'il y aura peut-être quelques événements dans des petits théâtres. "Mais les grosses tournées ne vont pas reprendre demain", estime-t-il.
Autre problème qu'il soulève ? "La reprise risque d'être compliquée, car personne, mais vraiment personne, ne travaille en ce moment. Autrement dit, quand le premier prestataire commencera à proposer du boulot, tout le monde va se jeter dessus. Et là, il faudra être le meilleur".
En attendant une prochaine reprise, Enzo s'occupe en mettant en place des webinar sur la toile. "On y parle de sujets plus ou moins techniques sur le son" avec plusieurs intervenants issus de diverses boîtes comme Dushow, Meyer Sound ou encore L- Acoustics.
Quel avenir pour le secteur musical ?
Alors, face à tant d'incertitudes, comment va évoluer le secteur musical ? De nombreuses structures seront durement fragilisées, au point que certaines d'entres elles risquent malheureusement de disparaître.
Dans une interview pour France Culture, Malika Seguineau, directrice générale du Prodiss, le syndicat national du spectacle musical et de variété, explique : "C'est un tsunami qui traverse le secteur. Beaucoup de secteurs de l'économie française sont touchés, mais il y a des reprises qui seront plus rapides que d'autres. Nous allons être les derniers à retrouver une activité normale. En outre, avec la fermeture des frontières, il y a de grandes incertitudes sur la venue en France d'un certain nombre d'artistes internationaux. Donc oui, c'est une catastrophe. Cela l'est d'autant plus que nos entreprises sont à près de 90% des très petites entreprises. Elles ont une économie structurellement fragilisée qui sort de plusieurs années de crise – les attentats de 2015, les "gilets jaunes", les grèves. Désormais, c'est un arrêt pur et simple de leur activité avec une grande incertitude quant à la date à laquelle elles pourront revenir à une activité normale".
Toujours selon Malika Seguineau, un plan de relance massif pour le secteur sera inévitable. « Il faut un accompagnement sur le très long terme. On sait tous qu'il y aura un plan de relance massif au niveau national et nous devons en être, comme toutes les entreprises."
Le spectacle vivant s’accommode mal des écrans. Un concert sans public, ça s’appelle une répétition - Frédérique Magal, directrice du Point Ephémère
Pour le moment donc, personne ne sait quand exactement pourront rouvrir les salles de concerts et de spectacles. Certains experts préconisent une reprise mais pas avant l’automne 2021. Une hypothèse que Frédérique du Point Ephémère se refuse à "croire obstinément". Alors, comment voit-elle la suite ? "Il y a des jours où je ne le vois pas, des jours plus optimistes où je me dis que nous inventerons de nouvelles formes pour faire la fête. Mais le spectacle vivant s’accommode mal des écrans. Un concert sans public, ça s’appelle une répétition" confie-t-elle.
De son côté, Enzo n'ose pas non plus imaginer une reprise à l'automne 2021. "Ce n'est pas possible, on ne peut pas rester un an et demi sans travail ; déjà parce que je ne peux pas croire que l'Etat soutiendra tous les intermittents pendant 18 mois, ensuite parce qu'on ne va pas le supporter. Pour mon cas, me dire que je ne vais rien faire jusqu'au 29 août, me semble difficile à encaisser, alors ne rien faire pendant encore plus longtemps pose des questions. Est-ce que je ne devrais pas trouver un autre métier, ou bien faire du bénévolat quelque part ?".
En attendant la reprise très attendue des concerts en live, certains pays européens font preuve d'imagination et expérimentent notamment le concert en mode drive-in. Alors, ce concept pourrait-il voir prochainement le jour dans notre pays ?