À quoi ressemble la vie depuis le 11 mai ? Depuis que le plan du déconfinement a été dévoilé et alors que différents secteurs s'attèlent à des fiches métiers, on commence à y voir plus clair. Pour certains, comme les instituts de beauté, cela paraît relativement simple, pour d'autres à l'instar des escape game ou des salles de concerts, c'est un véritable casse-tête à résoudre. Pour les festivals et autres grands rassemblements, le verdict est tombé : pas d'évènement de plus de 5000 personnes avant septembre.
Mais quid des clubs, discothèques et autres joyeusetés qui rythment la vie des noctambules ? Le 28 mai, lors de sa prise de parole pour présenter la phase 2 du plan de déconfinement, le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé que les clubs et discothèques resteraient fermés au moins jusqu'au 21 juin.
La CSLMF, la Chambre Syndicale qui défend les lieux musicaux, festifs et nocturnes, s'était exprimée dans un communiqué. Le Fluctuart, le Café Oz, la Machine du Moulin Rouge, le Badaboum, le Pachamama, le Toit de la Grande Arche, la Bellevilloise, le New Morning, le Rex Club, le Bus Palladium ou encore le Rosa Bonheur... autant de lieux connus des parisiens qui se retrouvent aujourd'hui dans une situation très compliquée et une incompréhension totale.
Ces spots, la CSLMF les annonce comme étant en danger, notamment en raison d'une perte de chiffre d'affaires "abyssale" et déclare que "de toute évidence, sans accompagnement spécifique, la grande majorité de ces lieux ne rouvriront jamais leurs portes".
Nous avons joint par téléphone Aurélien Dubois, Président de l’agence Surprize, mais aussi Président de la CSLMF, considérée à ce jour comme le plus ancien syndicat français sur la gestion des établissements de nuit. « Aujourd’hui, nous sommes très inquiets sur la continuité potentielle de nos activités et nous avons très peur des éventuelles conséquences en France sans ces établissements qui ont un rôle de cohésion sociale et qui ont fait preuve, depuis plus de 20 ans, d’efforts très importants » nous a-t-il confié.
Depuis plusieurs années maintenant, les clubs et autres lieux musicaux et festifs doivent faire face à plusieurs événements qui ont menacé de plein fouet leur activité, comme les attentats de 2015, des mouvements sociaux majeurs sans oublier les crues. Alors, aujourd’hui, avec cette crise sanitaire sans précédent, nombreux sont ces établissements, défendus par la CSLMF, qui se retrouvent menacés de disparaître.
Les lieux musicaux, festifs et nocturnes : les oubliés de la crise sanitaire
« Aujourd’hui, nous n’avons aucune information sur ce que pourraient être nos activités demain » affirme Aurélien. « On trouve que l’Etat ne prend pas le courage d’annoncer des dates qui sont lointaines, quitte à mettre les gens dans une certaine frustration. Mais il faut assumer la problématique dans laquelle nous sommes et trouver des solutions. [...] Faire languir certains établissements génère une véritable angoisse, et ça commence à créer des comportements potentiellement déviants de la part de certains entrepreneurs qui, ne sachant pas comment ils vont survivre demain, réfléchissent à des solutions qui pourraient avoir des effets dangereux pour tout le monde. C’est surtout ce que nous ne voulons pas. Aujourd’hui, ce que nous voulons c’est, comme nous le faisons depuis les attentats de 2015, renforcer la prévention des risques, la prévention sanitaire et la sécurité » nous explique-t-il.
Suite au plan d’aide dévoilé par Emmanuel Macron pour soutenir la culture, Aurélien ne cache pas non plus sa déception. « Gérer nos lieux n’était pas leur priorité et ça peut se comprendre. Mais aujourd’hui, quand on prend la parole aussi souvent en parlant de culture et qu’on ne nomme pas une seule seconde les lieux qu’on représente, on trouve que c’est une aberration. Comment l’Etat peut nous mettre en dehors de cette case culturelle dont on fait partie ? ».
Comme il le souligne, on oublie également trop souvent le rôle que jouent ces établissements musicaux, festifs et nocturnes dans le secteur touristique. « On parle tout le temps du tourisme avec les hôtels et les grands monuments, mais la vie artistique et festive constitue un secteur très attractif pour les touristes. Des grandes capitales comme Berlin, Barcelone, Londres et Ibiza ont tout de suite compris quelle importance avait ce secteur. Nous avons beaucoup de retard dans ce domaine. A Paris, on commence à le rattraper depuis la mandature d’Anne Hidalgo avec Frédéric Hocquard, mais Paris n’est pas la France. Et quand on parle de tourisme aujourd’hui, on ne parle pas de nos établissements et de notre attractivité, et c’est assez dommage ».
Autre point soulevé par le Président de la chambre syndicale ? La complexité de ces établissements. « Nous sommes des établissements en perpétuelle mutation avec des activités polymorphes, hybrides et transversales. Aujourd'hui, on se retrouve avec des bars festifs et du clubbing, des restaurants qui se transforment en établissement de nuit, d’autres qui font du concert, de la restauration rapide et du clubbing… Les adhérents de la chambre ont des activités pluridisciplinaires. A ce stade, nous sommes très inquiets quand on entend parler de l’ouverture prochaine des cafés et des restaurants et qu’on ne parle pas du tout de nos établissements ».
Comment sortir les clubs et lieux festifs du confinement ?
Alors que d'autres secteurs ont en effet une idée plus ou moins précise du moment où ils pourront rouvrir, le syndicat dénonce un manque d'information vis-à-vis des lieux qu'il représente : "On devine seulement qu'ils seront les derniers à rouvrir, mais quid de leur survie, en l'absence de feuille de route, pour leur réouverture à l'horizon si lointain ?". Alors, face à ce manque de communication de la part du gouvernement, la CSLMF appelle à la réalisation d'un diagnostic de la situation financière de ce secteur, en tandem avec différents ministères, les syndicats des secteurs musicaux, festifs et nocturnes, mais aussi des chercheurs, des sociologues, des programmateurs, des artistes… pour ensuite établir un schéma de reprise d'activité ainsi qu'une potentielle date de réouverture. « L’objectif est de trouver des solutions, de réfléchir à l’avenir direct de nos exploitations et de continuer à créer ce lien entre la créativité artistique, leur diffusion et l’interactivité avec le public. Offrir une diffusion de podcast filmée sans interactivité, derrière un écran, est assez limité. Il y a un vrai modèle à réinventer aujourd’hui » nous explique Aurélien.
Mais comment se réinventer alors que le cœur de ces établissements est d’offrir un réel lien social entre les gens, de la proximité, de la communication, et un rapprochement ? « On trouve ça assez compliqué, même si ça a le mérite d’être fait, ces dancefloors quadrillés avec des morceaux de gaffeur au sol qui permettent d'espacer les clients de 4 mètres les uns des autres. On ne sait pas comment les gens vont rester dans ces cases statiques à danser pendant plusieurs heures… On ne voit pas comment, sans une régression de ce virus ou des solutions de vaccination, on pourrait continuer notre activité. C’est pour cela qu’aujourd’hui, nous demandons le maintien du chômage partiel pour les établissements qui ne pourraient pas rouvrir, faute de rentabilité et faute de comptabilité avec l’ADN, c’est-à-dire le rapprochement des gens » précise-t-il.
Aux Pays-Bas, où les nightclubs restent fermés jusqu'au mois de septembre, un club hollandais a imaginé le déconfinement en mode parodie :
Pour soutenir le secteur, Aurélien prend volontiers l’exemple de l’Allemagne qui a mis en place un fonds d'urgence d’aide spéciale. « Au niveau européen, l’Allemagne a débloqué 50 milliards de façon très rapide pour aider la culture et l’événementiel, chose qui n’est pas notre cas. La France a débloqué 50 millions au CNM, le nouveau centre national de la musique. Vous voyez un peu le positionnement entre ces deux différents pays ? Comment va se dérouler la reprise, si nous restons statu quo dans ces propositions ? » se demande-t-il.
Aujourd'hui, pour tenter de sortir de cette situation compliquée et d'aider au mieux les établissements du secteur, la CSLMF appelle donc tous les acteurs (chercheurs, universitaires, philosophes, artistes, programmateurs, économistes, urbanistes, établissements, organisateurs, agences événementielles...) à partager leurs réflexions dans le cadre de ce groupe de travail. Plus d'infos sur la page Facebook du syndicat.