Climat: catastrophes naturelles, virus... quand la fonte du permafrost laisse craindre le pire

Par Caroline de Sortiraparis · Photos par Caroline de Sortiraparis · Publié le 9 août 2021 à 15h18
Alors que de nouveaux records de températures ont été enregistrés en Arctique cet été, plusieurs scientifiques surveillent de près le dégel du permafrost. Selon eux, la fonte de cette épaisse couche de sol gelé en permanence provoquerait une accélération du réchauffement climatique, et pourrait également "réveiller" des bactéries et virus disparus... Un phénomène qui laisse craindre le pire pour l’avenir de la planète et de l’Humanité, alors que le Giec révèle dans son 6e rapport publié ce 9 août 2021 que la fonte du permafrost va s'amplifier. Décryptage.

23,4°C dans le nord-est du Groenland, plusieurs journées à plus de 39°C en Sibérie, 33,6°C en Laponie finlandaise, 29°C à Old Crow, un petit village niché dans le nord du Yukon, au Canada... Cet été, les températures ont encore atteint de nouveaux records dans certains coins de l’Arctique. Un mercure qui n’est pas sans conséquence sur cette partie du globe qui abrite plus de 21.000 espèces animales ou végétales. Alors que le réchauffement en Arctique est au moins deux fois plus rapide qu'ailleurs sur la planète, le dégel du permafrost laisse aussi craindre le pire pour l'avenir.

Nommé pergélisol en français, le permafrost est une couche de terre, de roche ou de sédiments, qui reste gelée pendant plus de deux années consécutives. Recouvrant environ un quart de la surface des terres de notre hémisphère Nord, il est essentiellement présent dans les régions situées au-delà du 50e parallèle nord, comme dans le nord de la Russie, en Alaska, dans le Grand Nord canadien, au Svalbard, au Groenland, mais aussi au Tibet.

Depuis plusieurs années maintenant, de nombreux scientifiques s’accordent à dire que la fonte du permafrost, provoquée par le réchauffement climatique, aurait de graves et dramatiques conséquences, tant pour la planète que pour l’Humanité.

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Accélération du dérèglement climatique

Lorsque le permafrost dégèle et fond, il libère du dioxyde de carbone et du méthane en grande quantité. Mauvaise nouvelle donc puisque le méthane est surtout connu comme étant un activateur puissant de gaz à effet de serre. Selon les experts du Giec, le permafrost arctique et subarctique contiendrait entre 1.460 et 1.600 gigatonnes de carbone organique, soit presque deux fois plus de carbone que dans l’atmosphère. D’après de nombreuses études, le méthane libéré par la fonte du permafrost accélérerait donc encore davantage le réchauffement climatique, provoquant à son tour un dégèle plus rapide du sol et donc du permafrost. C’est le serpent qui se mord la queue. 

C’est indéniable. La fonte du permafrost va s'amplifier et les glaces de l'Arctique totalement disparaître en été, selon le 6e rapport du Giec dévoilé ce lundi 9 août 2021. Et le dégel de cette couche risque d’avoir de graves conséquences environnementales sur ces régions arctiques, avec la disparition de certains écosystèmes et de leur biodiversité. En 2015, la chercheuse Susan Natali du Woods Hole Research Center estimait que le permafrost pourrait diminuer de 30% d’ici à 2100, et libérer jusqu'à 160 milliards de tonnes de gaz à effet de serre, selon le scénario le moins négatif.

Mais le phénomène aura également des conséquences au niveau mondial, sur la biodiversité dans son ensemble, et donc sur l’Humanité. « Selon les études les plus récentes, la fonte du pergélisol pourrait entraîner un réchauffement supplémentaire de 0,2 °C d’ici la fin du siècle », confiait en juin 2019 à Radio-Canada le doctorant à l’Université de l’Alberta, Scott Zolkos. 

D’autres dérèglements liés à la fonte du permafrost sont aussi évoqués par certains chercheurs. D’après un rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement de 2012, la fonte du permafrost risquerait également de se traduire par des incendies de forêts plus fréquents, des glissements de terrain, mais aussi l’effondrement de routes, de lignes électriques ou d'oléoducs.

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Relocalisation de plusieurs communautés locales

La fonte du permafrost aurait aussi de graves répercussions sur les populations locales vivant dans ces contrées glacées. On estime à environ quatre millions le nombre de personnes vivant dans ces régions, dont 500 000 autochtones. 

Dans le nord de l’Alaska, le village yupik de Newtok s’est vidé de ses habitants en raison du réchauffement climatique et du dégel du permafrost. Car avec la fonte du pergélisol, les routes et les canalisations s’effondrent, et les terres qui soutiennent les habitations s’affaissent. Aussi, le risque d’y rester était trop grand, et les 380 habitants de Newtok n’ont pas eu d’autres choix que de quitter leur terre, habitée par leurs ancêtres depuis des années. Place désormais à la relocalisation. Direction Mertarvik, la première communauté créée pour ces habitants, considérés comme les premiers déplacés d'Amérique du Nord liés au réchauffement climatique.

D’autres villages du Grand Nord canadien cette fois-ci pourraient lui emboîter le pas, comme Tuktoyaktuk, un hameau inuk situé dans les Territoires du Nord-Ouest. « Dans des collectivités comme Tuktoyaktuk, par exemple, la fonte du pergélisol constitue souvent une menace pour les maisons, les routes et d’importants sites culturels, ainsi que pour les milieux marin et côtier. Ce phénomène a un effet profond sur les traditions nordiques et autochtones, plus spécialement dans les collectivités dont la survie dépend de la terre, de la mer et de la glace » alertaient des chercheurs de la Commission géologique du Canada (CGC) du ministère des Ressources naturelles (RNCan), dans un rapport.

La Sibérie n’est pas non plus épargnée par le phénomène. Il suffit de regarder Iakoutsk, la capitale de la Iakoutie et la plus grande ville au monde construite sur du permafrost. Avec la fonte déjà observée, certains bâtiments commencent à s’affaisser tandis que des infrastructures se dégradent. Pire, avec le dégel du permafrost, l'érosion de la côte arctique russe s'aggrave et la Iakoutie perd environ deux mètres de côte par an, expliquait à l’AFP en 2018, Vladimir Prokopiev, député régional de Iakoutie. Alors, les habitants ont décidé d’agir. En 2018, la région est devenue la première à voter une loi pour la protection du permafrost. Mais selon Vladimir Prokopiev, "il nous faut une loi nationale si nous voulons conserver le permafrost et éviter de graves dommages environnementaux".

Dans le Grand Nord russe, le sort des Nénètses suscite également de nombreuses inquiétudes. Ce peuple nomade éleveur de rennes vit principalement dans la péninsule du Yamal, exploitée depuis de nombreuses années par le gouvernement qui y a implanté de grands gisements gaziers. Un bout de terre lui aussi touché par la fonte du permafrost. Mais qu’adviendra-t-il de ce peuple lorsque leurs rennes, dont ils dépendent pour survivre, ne trouveront plus de lichens pour se nourrir dans cette toundra impactée par le dégel du permafrost ?

Pour certains sceptiques, les bouleversements climatiques qui sévissent actuellement en Arctique sont loin de leurs préoccupations principales. Et pourtant, comme l’a expliqué la militante écologiste inuk, Sheila Watt-Cloutier, à nos confrères de Radio-Canada en 2019, « Si vous protégez l’Arctique, vous protégez le cœur de la planète ». « On ne peut ignorer ce qu’il se passe en Arctique, simplement parce que les répercussions se font sentir partout sur la planète » explique-t-elle encore dans son ouvrage « Le droit au froid ». 

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"Réveil" de virus disparus


La fonte du permafrost fait aussi craindre le pire d’un point de vue sanitaire, alors que le monde lutte actuellement contre la pandémie de covid-19. Selon le biologiste Jean-Michel Clavier, le permafrost est une « bombe à retardement virale et bactérienne » qui agirait comme un « réfrigérateur puissant pour la vie microbienne ». 

En 2016, la maladie du charbon a par exemple contaminé une vingtaine de personnes en Sibérie, et causé la mort d’un enfant de 12 ans. Une centaine de rennes est également décédée. Chose surprenante, me direz-vous. Comment cette maladie a pu frapper dans cette région du globe alors que le virus est censé y avoir disparu depuis 75 ans ? Selon les scientifiques, la fonte du permafrost aurait provoqué le dégel d'un cadavre de renne mort de l'anthrax il y a plusieurs dizaines d'années. Avec la fonte du permafrost, la fameuse bactérie mortelle, piégée dans le sol, aurait refait surface et ainsi réinfecté plusieurs troupeaux de rennes et les populations locales. Selon les services sanitaires du pays, « les spores d'anthrax se conservent dans le permafrost pendant plus d'un siècle ».

Plusieurs autres virus disparus, pris au piège dans le permafrost, ont aussi été découverts ces dernières années par des scientifiques, comme le Mollivirus. Vieux de plus de 30 000 ans, il a été identifié dans le Nord-Est de la Sibérie.

Selon certains spécialistes de la question, l'industrie minière et pétrolière menée dans ces régions accentuerait également les risques. Depuis plusieurs années, des scientifiques tirent la sonnette d’alarme, expliquant que des virus pourraient se "réveiller" si l’on continue à exploiter trop en profondeur les sous-sols. "Quelques particules virales encore infectieuses peuvent être suffisantes, en présence de l'hôte sensible, à la résurgence de virus potentiellement pathogènes dans les régions arctiques de plus en plus convoitées pour leurs ressources minières et pétrolières et dont l'accessibilité et l'exploitation industrielle sont facilitées par le changement climatique", expliquait en 2015 le CNRS dans un communiqué.

"Si on n'y prend pas garde et qu'on industrialise ces endroits sans prendre de précautions, on court le risque de réveiller un jour des virus comme celui de la variole qu'on pensait éradiqué", alertait en 2015 auprès de l'AFP Jean-Michel Claverie, professeur à l'Université d'Aix-Marseille, directeur de l'Institut de microbiologie de la Méditerranée (CNRS). 

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Le réchauffement climatique et la fonte du permafrost attisent aussi l’appétit de grandes puissances comme la Russie, la Chine et les États-Unis qui y voient là l’opportunité d’exploiter encore davantage les très riches sous-sols de ces régions et, ce, malgré les avertissements de la communauté scientifique. 

Dans son dernier et sixième rapport d'évaluation publié ce 9 août 2021, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) pointe du doigt la responsabilité de l'Homme dans le réchauffement climatique, expliquant que les activités humaines sont, "sans équivoque", à l'origine du phénomène. "Les activités humaines affectent toutes les composantes du système climatique, certaines d'entre elles réagissant pendant des décennies et des siècles." peut-on lire dans ce rapport.

Mais que faire, alors que la fonte du permafrost est identifiée comme l’une des conséquences les plus dramatiques selon le Giec ? Les solutions sont connues depuis plusieurs années maintenant : soulager le climat, en réduisant les gaz à effet de serre émis au quotidien. Dans ce 6e rapport, le Giec explique : "le réchauffement à 1,5°C et 2°C va être dépassé pendant le XXIe siècle, à moins qu'une profonde baisse des émissions de CO2 et des autres gaz à effet de serre ne se produise dans les prochaines décennies". Selon les experts, il est donc primordial d’atteindre la neutralité carbone, car "chaque tonne de CO2 émise s'ajoute au réchauffement global". Autre solution évoquée par le GIEC ? La capture de carbone, qui a le "potentiel de retirer du CO2 de l'atmosphère et de le stocker durablement dans des réservoirs". Reste désormais à savoir si les différents pays du monde seront capables de fournir ces efforts et en mesure de s'aligner sur un objectif à 1,5°C. Réponse lors de la COP26 prévue à Glasgow en novembre 2021.

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