Nous avons la chance, dans la capitale et dans toute la région Ile-de-France, de bénéficier d'un patrimoine exceptionnel, qu'il s'agisse de monuments ou de savoir-faire. Dans notre nouvelle série "Les Gardiens du Patrimoine", nous partons à la rencontre de celles et ceux qui s'attellent à le sauvegarder au quotidien, à le faire vivre et à le faire connaître, pour le faire perdurer à travers les siècles. L'occasion de vous faire découvrir leur passion et d'en savoir plus sur ce véritable trésor matériel comme immatériel.
Pour ce premier épisode, nous avons rencontré la famille Bouglione et surtout les deux frères, Joseph et Louis-Sampion, à l'occasion de leur nouveau spectacle "Spectaculaire", qui ont évoqué avec une passion sans pareil leur vie au Cirque d'Hiver, dernier cirque en dur de la capitale, où est née il y a plus de 150 ans la discipline du trapèze volant, véritable fierté et numéro indissociable aujourd'hui du lieu.
Joseph Bouglione : Je m'appelle Joseph Bouglione, comme mon grand-père. Je suis la sixième génération et le directeur artistique du Cirque d'Hiver à Paris, mon rôle consiste à faire la direction artistique du spectacle et à engager les artistes chaque année pour les nouveaux spectacles.
Louis Sampion Bouglione : Alors, je m'appelle Louis Sampion Bouglione, je m'occupe du musée du Cirque d'Hiver, je suis en charge un peu de l'histoire de la famille, de l'image aussi que représente le Cirque d'Hiver, c'est-à-dire à travers le programme, les affiches...
J.B. : C'est mon grand-père qui a acheté le Cirque d'Hiver en 1934 et depuis, de génération en génération, le cirque et le spectacle s'est transmis.
L.S.B.: Elle est très compliquée, on a pu remonter jusqu'en 1820, où le premier dompteur Bouglione arrive d'Italie. C'est un dompteur qui travaille dans les fêtes foraines, il est originaire de Turin, il passe la frontière et il s'installe définitivement en France. À partir de cette date-là, de ménagerie en ménagerie, il monte un cirque, de plus en plus grand, et c'est comme ça que le cirque Bouglione prend naissance.
L.S.B.: L'histoire du Cirque d'Hiver est assez incroyable, c'est un directeur qui s'appelait Louis Dejean, qui avait déjà un cirque sur les Champs-Elysées qui s'appelait le Cirque d'Été, et il décide de créer un cirque pour l'hiver. Et avec l'autorisation du duc de Morny, qui est le demi-frère de Napoléon III, il obtient l'autorisation de construire en 1852 le Cirque d'Hiver, qui s'appelait alors Cirque Napoléon.
Le Cirque d'Hiver de Paris, l'un des plus vieux cirques d'Europe
Situé du côté de Filles du Calvaires, dans le 11e arrondissement de Paris, le Cirque d'Hiver est un lieu historique à l'architecture néo-classique. L'un des plus vieux cirques en dur d'Europe continue encore aujourd'hui de mettre les arts circassiens à l'honneur, au bonheur des familles. [Lire la suite]
J.B.: C'est-à-dire qu'au Cirque d'Hiver, c'est le temple du trapèze volant. Léotard (Jules de son prénom, ndlr) a inventé le trapèze volant, a fait le premier numéro de trapèze volant au Cirque d'Hiver même, c'était l'inauguration. Donc pour les trapézistes qui viennent se produire ici, pour eux, c'est un mythe, car faire son numéro au Cirque d'Hiver à Paris, c'est quelque chose d'incroyable pour des artistes.
De plus, le film "Trapèze" (sorti en 1956, ndlr) avec Tony Curtis, a été tourné ici même, au Cirque d'Hiver, avec la famille Bouglione. D'ailleurs, dans le film, on voit beaucoup de membres de la famille qui ont servi de figurants ou d'artistes. Donc pour les trapézistes, c'est historique. Un trapéziste se doit de travailler au Cirque d'Hiver, j'ai beaucoup de demandes, c'est une consécration, en quelque sorte.
L.S.B.: Alors il faut savoir qu'à l'époque, il n'y avait pas de cirque en toile, il n'y avait que des cirques en dur. C'est plutôt comment ils ont eu l'idée de faire un cirque en toile et de prendre la route, il n'y avait que des cirques en construction, en pierre ou en semi-construction, c'est-à-dire moitié bois et toile. Et par la suite, c'était quand même assez compliqué d'à chaque fois faire démonter ces cirques, donc ils ont été de plus en plus sur la toile.
J.B. : C'est notre vie ! Nous sommes nés ici, moi je suis né au Cirque d'Hiver, en fait. Mes parents habitent au premier étage du cirque, j'y ai passé toute ma jeunesse jusqu'à mes 18 ans. J'ai dormi ici (la salle de spectacle, ndlr) et c'était ma salle de jeu. Je faisais mes études à l'école et, parallèlement, je m'entraînais à la gymnastique, j'étais funambule pendant des années, j'ai aussi appris le métier avec les chevaux, avec mon père qui était écuyer. Ça m'a permis d'apprendre plein de choses.
L.S.B.: Pour moi personnellement, c'est toute notre vie, je suis né pratiquement au Cirque d'Hiver, j'ai passé toute ma jeunesse, toute mon enfance ici, et ça continue, mes enfants aussi y passent leur vie. C'est un lieu magique, magnifique, où on est constamment entourés d'artistes, le public, tout ce que ça peut représenter, enfin, c'est un spectacle vivant tous les jours.
J.B. : Une chose à laquelle je repense souvent, c'est à "La Piste aux étoiles". Ça a été tourné au Cirque d'Hiver, et c'est d'ailleurs pour ça que je reprends la musique chaque année, car beaucoup de monde regardait cette fameuse émission. Lorsque j'entends et j'écoute cette musique par l'orchestre, ça me fait toujours un peu des frissons, parce que je me souviens, j'avais 12-13 ans et je regardais, je devais être assis quelque part là et j'étais à toutes les répétitions.
L.S.B.: Alors il faut savoir qu'à l'intérieur du Cirque d'Hiver, il y a une piscine qui fut construite en 1933 et inaugurée par Mistinguett. Dans les années 90, cette piscine a été remise en fonction et une fois que le spectacle aquatique était fini, quand souvent je rentrais le soir, c'était très agréable de prendre une serviette et d'aller se baigner dans la piscine. Donc, c'est une piscine qui fait 13m de diamètre, 4m de profondeur, avoir ça pour soi tout seul, c'est très agréable !
L.S.B.: Le trapèze volant fut inventé au Cirque d'Hiver, enfin, à l'époque, c'était le Cirque Napoléon, en 1859, par un tout jeune artiste du nom de Léotard. C'est la première fois qu'un artiste s'élançait dans les airs, en fait, c'est qu'il lâchait un trapèze pour en rattraper un autre. Donc, c'est vraiment au Cirque d'Hiver que le trapèze volant est né.
J.B. : II y a beaucoup de travail en amont, car il faut voyager un petit peu partout pour trouver des numéros qui vont être adaptés au spectacle. De plus, les numéros sont engagés 3 ou 4 ans à l'avance pour pouvoir les réserver, car il y a beaucoup de spectacles, de cabarets qui utilisent des numéros de cirque, partout pendant les périodes des fêtes. Je me déplace beaucoup pour aller voir les festivals, car dans ces viviers, en l'espace de 3-4 jours, on peut voir cinquante ou soixante numéros travaillés, et ça nous permet de faire notre marché quelque part pour engager les artistes pour le futur spectacle.
J.B. : C'est une évolution qui a été d'année en année, avec des nouvelles techniques, des nouveaux matériaux, des professeurs plus adaptés. Il y a encore une quarantaine, une cinquantaine d'années, on faisait un double saut périlleux, maintenant on fait le triple, même le quadruple, et il y en a qui parlent de quintuple saut périlleux ! Là, nous avons une demoiselle qui vient des États-Unis qui fait le triple saut périlleux. C'est quelque chose d'exceptionnel pour une femme, il n'y a pas beaucoup de femmes qui exécutent à chaque spectacle un triple saut périlleux, elles doivent être 4 ou 5 dans le monde.
Par contre, au prochain spectacle, soit en 2025 ou en 2026, il y aura une troupe de trapézistes mexicains qui vont faire le quadruple saut périlleux au Cirque d'Hiver, dont ça sera historique, car ça sera le premier trapéziste à exécuter le quadruple saut périlleux ici et à le réussir. Pour nous, c'est exceptionnel dans le temple du trapèze volant.
J.B. : Nous n'avons pas de trapèze volant chaque année, je change de spectacle parce qu'après ça serait trop répétitif, mais ça faisait quand même quelques années, je crois 4 ans qu'il n'y avait pas eu de trapézistes. Il y a eu d'autres numéros : la grande roue, des cerceaux, des tissus aériens, du trapèze fixe, mais des trapézistes, j'en prends tous les deux ans à peu près. À partir de maintenant, ça sera tous les deux ans, ou éventuellement peut-être l'hiver prochain, je ne sais pas.
On s'est aperçu que le public, ça on le savait, veut voir les trapézistes, mais parfois pour des raisons techniques, on ne peut pas avoir de trapézistes volants, car on a d'autres numéros qui prennent la place dans la coupole et on ne peut pas y accrocher plus de 2 tonnes. On sait que ça plait beaucoup et puis à nous aussi !
Cette année, il y a une particularité, car il est exécuté par quatre femmes, ce sont quatre demoiselles qui font ce numéro. D'habitude, il y a toujours une femme avec deux voltigeurs et là, ce n'est exécuté que par des femmes, elles font vraiment tout ce que les hommes peuvent faire. Donc c'est une particularité et c'est exceptionnel.
J.B. : Notre génération est en train de transmettre à nos enfants, ils sont en train d'apprendre le métier, ils suivent ce qu'on fait pour pouvoir apprendre et évoluer dans le cirque à notre place dans les années futures. Après, une chose qu'il faut savoir, c'est qu'au cirque, on ne pousse pas nos enfants à faire ce métier. S'ils veulent le faire, ils le font, s'ils ne veulent pas, ils ne le font pas. Moi, on m'a dit : "tu fais ce que tu veux, si tu veux continuer tes études et faire autre chose, tu peux le faire". Mais non, je voulais faire ça parce que c'était quelque chose d'incroyable parmi les artistes, la lumière, le public.
C'est un rêve et je vois tous les enfants maintenant qui ont tous treize, quatorze ans, ils sont là, ils donnent un coup de main. Mon fils travaille en piste, il y a plein de personnes qui sont là de la famille qui travaillent en piste et ils prennent le rôle vraiment au sérieux. C'est un vrai travail. Il y a les trois cousins qui sont là, ils aident à mettre le matériel des artistes, c'est le premier travail qu'on fait lorsqu'on a l'âge de pouvoir faire quelque chose dans le cirque.
On apprend à rentrer les agrès dans la piste et ça leur permet de se responsabiliser. Ils sont là, ils sont habillés en costume, ils se préparent, ils viennent avant, ils vont checker leur matériel. Pour eux, c'est une partie vraiment très importante et ils veulent absolument le faire. Et leur plus grande punition, c'est leur dire, demain tu viens pas au cirque !
J.B. : Il ne raconte pas d'histoire, c'est un spectacle qui est rythmé et ça dure deux heures avec entracte, et les numéros s'enchaînent les uns après les autres, sans trop d'annonces. C'est vraiment très rapide, avec l'orchestre en live, avec une chanteuse, un ballet qui accompagne, des comiques de situation. C'est un spectacle traditionnel, mais avec les moyens techniques actuels. Je suis à l'écoute du public pour entendre ce qu'ils aiment voir, pour voir ce qui leur a plu le plus ou pas, et avec ces critères, moi ça me permet de monter le spectacle.
Il n'y a pas de thème dans les spectacles, c'est pas comme une pièce, il n'y a pas de fil rouge. Dans les autres années, je l'ai fait mais j'ai trouvé que c'était un peu long, qu'entre les numéros, il y avait une perte de timing. Là entre chaque numéro, il y a 2 secondes, alors ça peut pas aller plus vite, tout s'enchaîne.
Spectaculaire : le nouveau spectacle vibrant du Cirque d'Hiver Bouglione - notre avis
Le Cirque d'Hiver Bouglione nous dévoile son tout nouveau spectacle : "Spectaculaire", à découvrir à Paris du 11 octobre 2024 au 9 mars 2025. Ce show unique célèbre le grand retour du trapèze volant, inventé dans ce lieu en 1859, et marque les 90 ans de la célèbre dynastie Bouglione au sein de cet emblématique temple du cirque. [Lire la suite]
L.S.B. : Ah ici, on trouve tout ! Enormément d'objets qui ont appartenu à des artistes, qui ont travaillé ou pas au Cirque d'Hiver, mais c'est un musée qui est riche en documents, en costumes, surtout, on en a énormément. C'est quand même une particularité de la famille Bouglione d'avoir su à chaque fois conserver et garder, encore maintenant, et rechercher les costumes des artistes de cirque.
L.S.B. : Je suis collectionneur de père en fils. Il y a plusieurs types de collectionneurs, ceux qui aiment bien avoir leurs collections dans des boîtes, des malles, et les collectionneurs qui aiment bien profiter des objets, c'est-à-dire les mettre sous vitrine. Je fais partie de cette catégorie là, donc j'ai tout de suite voulu créer un musée pour que tout le monde puisse en profiter, moi le premier, de pouvoir avoir tous ces objets.
L.S.B. : Ce musée ne se visite pas réellement, mais en faisant des demandes au Cirque d'Hiver, on organise de temps en temps des visites. On aimerait bien l'ouvrir pour les Journées du Patrimoine, mais le problème, c'est que c'est un musée qui est pas vraiment aux normes pour accueillir beaucoup de public.
L.S.B. : Au Cirque d'Hiver sont organisés tous les premiers samedis du mois des visites guidées qui vous feront découvrir toutes les salles avec un historique pour vous expliquer son fonctionnement !
Entrez dans les coulisses du Cirque d'Hiver lors d'une visite guidée, une fois par mois
Pénétrez dans les coulisses du cirque le plus emblématique de la capitale en prenant part aux visites guidées du Cirque d'Hiver Bouglione, chaque premier samedi du mois. Vous serez incollables sur l'histoire de ce lieu incontournable du spectacle vivant et ses petits secrets ! [Lire la suite]
Lieu
Cirque d'Hiver Bouglione
110 rue Amelot
75011 Paris 11