Au 14e siècle, Paris connait la pire épidémie de peste de son histoire. Ce n'est pas la première ni la dernière que va avoir à surmonter la capitale, mais celle-ci, par sa rapidité de propagation et sa mortalité en Europe, en Asie, en Afrique du Nord et en Afrique Subsaharienne, est la seule à être surnommée Peste Noire ou Grande Peste par les historiens.
Depuis 1334, la peste bubonique sévit en Asie centrale, et bien que les Européens entendent parler de cette "Grande pestilence" qui décime les populations du Moyen-Orient et de l’Extrême-Orient, celle-ci semble lointaine. Pourtant, ce grand mal, qui a déjà fait des ravages en Chine, en Inde, en Perse, en Syrie et en Égypte, s'apprête à entrer en France par la voie maritime.
En novembre 1347, la Peste Noire, qui emprunte la route de la soie à bord de navires chargés de marchandises, arrive dans plusieurs ports du bassin méditerranéen - à Messine en Sicile, puis à Marseille - à dos de rats noirs. Clandestinement installés dans les cales des bateaux, les rongeurs transportent, en effet, dans leurs poils des puces porteuses de l'agent pathogène à l'origine de la peste : le bacille Yersinia pestis.
A l’intérieur des bateaux, les quelques marins encore vivants sont retrouvés recouverts de pustules noires suintant de sang et de pus. Effrayées, les autorités ordonnent de renvoyer les voiliers en mer, mais il est déjà trop tard : c'est le début de l'épidémie en Occident et en France. Quelques mois plus tard, à l'été 1348, la Grande Peste arrive à Paris.
Les symptômes, qui touchent sans distinction hommes, femmes et enfants, bourgeois, nobles, ecclésiastiques et indigents, sont terribles. Dès la contamination, les victimes sont terrassées par de violents maux de tête et une forte fièvre entrecoupée d'épisodes délirants et de vomissements de sang.
En réalité, il n'y a alors pas une seule peste présente en France, mais bien trois : la peste bubonique, la peste septicémique et la peste pneumonique qui infecte les poumons, provoque une forte toux et se déplace facilement d'un humain à l'autre par expectoration de gouttelettes.
Les malades infectés par la peste septicémique voient leur corps se couvrir de grandes tâches sombres, signes d'hémorragies sous-cutanées, tandis que ceux infectés par la peste bubonique développent des bubons suintants situés au cou, à l'aine et à l'aisselle, qui grossissent jusqu'à éclater, engendrant d'effroyables douleurs. La mort frappe généralement entre trois et cinq jours.
Démunis face à de tels symptômes et vêtus de costumes de Docteur Schnabel dont le long bec est rempli d'herbes et de plantes odorantes pour atténuer les effluves pestilentielles émanant des malades, les médecins s'appuient sur leurs connaissances limitées et pratiquent des soins rudimentaires composés de saignées, de bains de vinaigre, d'eau de rose, et de décoctions de plantes aromatiques. Mais rien ne semble venir à bout de cette "maladie des bosses".
Les proches des malades fuient Paris, espérant échapper à l'épidémie à la campagne. Mais, ne se sachant pas infectés eux-mêmes, ils propagent en réalité la maladie dans tout le pays. Le peuple et l'Eglise pensent à un châtiment envoyé par Dieu pour punir les hommes de leurs pêchés. Pour gagner Son pardon, des processions de flagellants sont organisées dans de nombreuses villes de France, ainsi que des danses macabres durant des jours et des nuits jusqu'à épuisement des participants.
Désemparée, la population cherche un bouc émissaire. Très rapidement, les Juifs sont tenus pour responsables et accusés d'avoir empoisonné l'eau des fontaines et des puits. L’Europe assiste alors à une série de pogroms. Entre 1348 et 1349, des milliers "d'hérétiques", des Juifs, mais aussi des mendiants, des lépreux, des sorcières, sont massacrés, brûlés sur des bûchers et dépouillés de leurs biens.
Tandis que l'Hôtel-Dieu sur l'Ile de la Cité se retrouve vite saturé, l'église Saint-Germain-l’Auxerrois, la paroisse la plus importante de Paris, dénombre 3116 morts entre avril 1349 et juin 1350. Face à l'abondance de cadavres touchés par la peste universelle et entassés dans des charrettes dans les rues, le cimetière des Innocents, le principal cimetière parisien situé place Joachim du Bellay dans le quartier des Halles et aujourd'hui disparu, ne peut pas suivre le rythme effréné des mises en terre - on dénombrait alors 500 inhumations par jour.
Même son de cloche pour le cimetière de l’hôpital de la Trinité, délimité à l'époque par les rues Saint-Martin, Saint-Denis, Greneta et Guérin-Boisseau. Pour l'anecdote, des travaux entrepris en 2014 par le Monoprix situé à à l’angle de la rue Réaumur et du boulevard de Sébastopol - à l'emplacement du cimetière de la Trinité détruit en 1790 - ont permis d'exhumer de nombreux squelettes.
Les corps sont dès lors entassés par dizaines dans des fosses communes, sans cérémonie religieuse. Les bateaux de Corbeil, transportant habituellement le pain vers la capitale, sont réquisitionnés pour évacuer les dépouilles hors de Paris. Rebaptisés ‘corbillat’ puis ‘corbillard', du nom de la ville de Corbeil dans l'Essonne, ils transportent tous les jours, sous les yeux des Parisiens, des centaines de corps sur la Seine.
En 1352, l'épidémie de Peste noire se termine enfin. En 4 ans, la Grande Peste aura décimé entre 50 000 et 80 000 Parisiens - près d'un tiers de la population de la capitale - et 25 millions de personnes sur 75 millions en Europe.
Le cimetière des Innocents et le cimetière de l'hôpital de la Trinité ont peut-être disparu, mais il reste de nombreux cimetières charmants à découvrir à Paris. Et si on y faisait un petit tour ?
Pour en savoir plus :
Lieu
Eglise Saint-Germain l'Auxerrois
2 Place du Louvre
75001 Paris 1
Accès
Métro Louvre - Rivoli - Pont Neuf.
Plus d'informations
Iconographies :
Le Triomphe de la Mort, Pieter Brueghel l'Ancien, Musée du Prado
Docteur Schnabel
© Mary Evans/Rue des Archives