Le lundi 15 octobre 1917, l'une des plus célèbre espionne de la Première Guerre mondiale est exécutée au polygone de tir du bois de Vincennes. Courtisane, danseuse orientale adulée, égérie de la Belle Epoque, Mata Hari est accusée d'avoir espionné la France pour le compte de l'Allemagne, et est fusillée par les autorités françaises au terme d'un procès expéditif et révélateur de peu de vérité. L'ancienne effeuilleuse néerlandaise n'avait, en réalité, rien de la grande espionne dont le nom d'emprunt fait encore fantasmer plus d'un siècle après sa mort.
De son vrai nom Margaretha Geertruida Zelle, Mata Hari nait le 7 août 1876 à Leeuwarden, dans la province de Frise aux Pays-Bas. Fille d'un chapelier aisé et attentionné, elle fréquente une école reconnue où elle apprend les arts, les bonnes manières et les langues étrangères. Mais depuis son adolescence, la jeune Margareth rêve de gloire, de reconnaissance et, surtout, de découvrir la vie parisienne qu'elle fantasme tant.
Aussi, après la faillite de son père et la mort de sa mère, alors qu'elle est envoyée dans un institut de formation des enseignants à Leyde, la jeune fille de 17 ans répond à la petite annonce, dans un journal local, d'un officier d'origine écossaise servant dans l'armée coloniale néerlandaise, le capitaine Campbell MacLeod. Le couple se marie en 1895 et part vivre dans les Indes néerlandaises, à Java puis à Sumatra de 1897 à 1902.
Après l'échec de son mariage qui verra naître un garçon et une fille, Margareth rentre en Europe en 1903 et décide de tenter sa chance à Paris où elle devient, un temps, modèle pour peintres. Adoptant le pseudonyme de Lady MacLeod, elle réussit à se faire passer pour une femme aristocrate grâce à une toilette élégante constituée avec ses derniers deniers.
Il faut dire que son éducation lui est fort utile : elle parle anglais, allemand, français, espagnol et javanais ; est capable de tenir des conversations dans les milieux les plus mondains, et son physique si particulier, ses mystérieux traits exotiques, son teint mat, ses grands yeux noirs, ses cheveux bouclés et son allure élancée, plaisent aux hommes qui tombent sous son charme.
Décidée à se faire un nom, Margareth propose un numéro d'écuyère à Ernest Molier, fondateur en 1880 du cirque Molier, qui lui conseille un numéro dévêtu. La Néerlandaise accepte et monte à cheval dans une tenue légère de danseuse hindoue : Mata Hari vient de naître. Sa carrière artistique démarre en grande pompe sur la scène du cirque Molier qui réunit, sur scène et dans les gradins, les grands noms de l’aristocratie et de la vie artistique et mondaine de l'époque.
"Je naquis dans le Sud de l’Inde, sur les côtes du Malabar, dans une ville sainte qui s’appelle Jaffuapatam, au sein d’une famille de la caste sacrée des brahmanes. Mon père, Suprachetty, était appelé, à cause de son esprit charitable et pieux, Assivardam, ce qui veut dire Bénédiction de Dieu. Ma mère, première bayadère du temple de Randa Swany, mourut à quatorze ans, le jour de ma naissance. Les prêtres, après l’avoir incinérée, m’adoptèrent et me baptisèrent Mata-Hari, ce qui veut dire Pupille de l’Aurore." raconte-t'elle sur ses origines.
Pendant ses années passées aux Indes néerlandaises, Mata Hari s'est initiée aux coutumes locales et en particulier aux danses indigènes. Le 13 mars 1905, Emile Guimet l'invite à donner une représentation dans le musée qu'il a fondé, le Musée Guimet. Le succès de son interprétation de la déesse Shiva se retrouve, le lendemain, dans les journaux.
Dans un article du Courrier français daté de 1905, un journaliste décrit ainsi le numéro de la jeune danseuse : "Elle ondule sous les voiles qui la dérobent et la révèlent à la fois. Et cela ne ressemble à rien de ce que nous avons vu. Les seins se soulèvent avec langueur, les yeux se noyent. Les mains se tendent et retombent, comme moites de soleil et d’ardeur."
Sa carrière de danseuse orientale est définitivement lancée et ses numéros, mêlant danse orientale et effeuillage, deviennent très demandés dans les salons mondains et les cercles très restreints des hommes et des femmes du monde, la faisant devenir une coqueluche du Tout-Paris, friand de nouveauté et d'exotisme.
Frivole et dépensière, la danseuse mène dès lors un train de vie luxueux, fréquentant les plus beaux hôtels des villes d'Europe où elle se produit, et dépensant sans compter aux frais de ses nombreuses conquêtes. Mais Mata Hari accorde plus de temps et d'importance à sa carrière de courtisane qu'à sa carrière artistique. Elle multiplie les amants, des militaires de haut rang, des hommes politiques et autres personnages influents, et laisse passer sa chance.
Après des hauts et des bas, sa carrière se tarit et aux prémices de la Première Guerre mondiale, ses danses n'attirent plus les foules, la mode étant désormais plus aux ballets russes qu'aux numéros orientaux. Sans le sou, Mata Hari ne peut plus mener grand train et rentre en Hollande où elle est approchée, en novembre 1915, par Carl Krämer, consul général d’Allemagne, chargé de recruter des individus susceptibles d’aider l'Allemagne en récoltant des informations.
Mata Hari accepte l'offre de Krämer de recueillir et de transmettre aux services secrets allemands des renseignements en échange de 20 000 francs et d'un nom de code : H-21. Après cinq semaines passées à Paris au cours desquelles la nouvelle espionne ne récolte aucune information probante, elle est envoyée auprès de la plus célèbre des espionnes allemandes, Elsbeth Schragmuller dite Fräulein Doktor, pour se former à l'espionnage.
De retour à Paris le 17 juin 1916, elle se retrouve dans le viseur du capitaine Georges Ladoux de la section de centralisation des renseignements du Deuxième Bureau de l’état major de l’armée. Prévenu du caractère suspect de la femme par les autorités britanniques, le contre-espionnage français la place sous surveillance constante au Grand Hôtel où elle séjourne.
Emmenée au ministère de la Guerre, elle est interrogée sur ses accointances avec l'Allemagne. Tombée follement amoureuse de Vadim Maslov, un jeune officier russe de 15 ans son cadet au service de la France et soigné à Vittel pour une blessure à l'œil, Mata Hari accepte la proposition de Ladoux : devenir un agent double et récolter des informations sur l'ennemi, en échange d'un laissez-passer pour Vittel et d'un million de francs - qui ne lui sera jamais versé.
Envoyée à Madrid, véritable nid d'espions de toutes les nationalités et particulièrement allemande, Mata Hari prend contact avec le capitaine Arnold von Kalle de l’ambassade du Reich et séduit de nombreux diplomates allemands afin de leur soutirer des informations d'importance qu'elle s'empresse de transmettre au contre-espionnage français. Mais Kalle n'est pas dupe et se méfie de l'espionne.
Quand les Allemands se rendent compte qu’ils ne pourront rien en tirer d’intéressant et que les Français l’utilisent également, ils envoient une série de télégrammes à Berlin dans lesquels ils signalent que "l'agent H-21 s'est rendu utile", sachant pertinemment que les services secrets français seront à même de décrypter le code utilisé et découvriront la duperie. Le piège se referme sur l'espionne qui décide, tout de même, de rentrer en France pour toucher sa récompense pour service rendu, et retrouver son jeune amant.
Le 13 février 1917, Mata Hari est arrêtée à l'Hôtel Elysée Palace où elle loge et interrogée le jour-même par le juge d'instruction Pierre Bouchardon, convaincu de sa culpabilité. Emprisonnée à la prison de femmes de Saint Lazare, Mata Hari finit par avouer son allégeance à l'ennemi au terme de 14 interrogatoires éprouvants. Mais l'espionne, comprenant le risque qu'elle court d'être jugée, minimise son rôle et se perd dans de vaines tentatives de justification, expliquant qu'elle n'a confié que des informations caduques à un agent des services des renseignements allemands.
L'instruction est bouclée le 21 juin 1917 et le procès à huis-clos de cette 'traître de la nation' débute le 24 juillet de la même année. Alors que Mata Hari a été lâchement désavouée par le capitaine Ladoux et qu'aucune accusation concrète ni preuves tangibles ne sont présentées, les 7 jurés, tous des hommes et tous des militaires, préférent souligner son mode de vie "immoral et débauché". D'aucuns diront que le jugement de Mata Hari aura surtout servi d'élément de propagande afin de réaffirmer l'autorité de la France qui voulait tenir bon jusqu'à la victoire, quitte à fusiller une femme.
Jugée coupable d'intelligence avec l’ennemi en temps de guerre, Mata Hari est condamnée à mort au terme d'un procès infondé, bien que la nature et l'étendue de ses activités fussent incertaines et que l'histoire montrera, par la suite, que Mata Hari était une espionne de pacotille ayant fourni des informations qui n'avaient que peu d'importance.
Le lundi 15 octobre 1917, aux premières heures du matin, l'espionne est conduite au bois de Vincennes aux côtés d'un peloton d’exécution composé de zouaves. Refusant jusqu'au dernier moment qu'on lui bande les yeux, Mata Hari est tuée par balle dans les fossés de la forteresse de Vincennes, non sans avoir fait preuve de panache une dernière fois.
Témoin de ses derniers instants, Léon Bizard, médecin chef de la Préfecture de police, a fait part du sang-froid de Mata Hari face à la mort, dans ses mémoires publiées en 1925 : "Tandis qu'un officier donne lecture du jugement, la danseuse, qui a refusé de se laisser bander les yeux, très crâne, se place d'elle-même contre le poteau, une corde, qui n'est même pas nouée, passée autour de la ceinture... (…) Mata Hari sourit encore à sœur Léonide agenouillée et fait un geste d'adieu. L'officier commandant lève son sabre : un bruit sec, suivi du coup de grâce moins éclatant et la Danseuse rouge s'écroule tête en avant, masse inerte qui dégoutte de sang."
Pour en savoir plus :
Mata Hari, la femme fatale victime de la Grande Guerre
Extraits des dossiers du Conseil de guerre et du dossier du service de renseignements
Lieu
Bois de Vincennes
Plaine de la Belle Etoile
75012 Paris 12
Plus d'informations
Iconographies :
Mata Hari au Musée Guimet
Permis de séjour accordé à Mata-Hari. Service Historique des Armées