Le mardi 25 octobre 1836, l'Obélisque est érigé au milieu de la place de la Concorde à l'initiative du roi Louis-Philippe, devant plus de 200 000 Parisiens amassés sur la place, sur les terrasses avoisinantes et sur le bas de l’avenue des Champs-Elysées. Offert à la France en 1830 par Méhémet Ali, vice-roi d'Egypte, en gage d'amitié, ce joyau égyptien de 23 mètres de haut et de 230 tonnes, fabriqué en granite rose d’Assouan et vieux de 3300 ans, provient du temple d'Amon à Louxor. Il parvient tant bien que mal à destination en 1833 après un périple de deux ans sur les flots.
Arrivé en Egypte en août 1828 à la tête d'une mission franco-toscane, Jean-François Champollion, égyptologue français à qui l'on doit la traduction des hiéroglyphes de la pierre de Rosette, tombe en admiration devant les deux obélisques à l'entrée du temple de Louxor. Le 24 novembre 1828, il écrit : "Un palais immense, précédé de deux obélisques de près de quatre-vingts pieds, d’un seul bloc de granit rose d’Assouan, d’un travail exquis, accompagnés de quatre colosses de même matière, et de trente pieds de hauteur environ, car ils sont enfouis jusqu’à la poitrine. C’est encore là du Ramsès le Grand."
Éloquent, l'égyptologue parvient à convaincre Méhémet Ali de faire don à la France de ces joyaux érigés sous le règne de Ramsès II, au XIIIe siècle avant J-C. Le vice-roi d'Egypte, qui envisageait plutôt d'offrir à la France l'un des deux obélisques d'Alexandrie, l'autre devant revenir aux Anglais, accepte. Mais se pose désormais le problème du transport des deux monolithes, chacun pesant plus de 200 tonnes.
Dès 1829, Charles X, alors roi de France, commissionne le ministère de la Marine afin d'imaginer un moyen de ramener les obélisques jusqu'à bon port. Un navire spécialement conçu pour cette délicate mission et baptisé le Luxor est construit et mis à l'eau dans le port de Toulon le 26 juillet 1830. Long de quarante-trois mètres et large de neuf, le Luxor doit être capable de naviguer sur le Nil, traverser la mer Méditerranée, caboter sur l'océan Atlantique avant de finalement remonter la Seine en passant sous les ponts.
La Révolution de 1830, qui voit Charles X être remplacé par son cousin, Louis-Philippe d’Orléans, ne remet pas en cause le projet et quelques mois plus tard, le 29 novembre 1830, l’Égypte fait officiellement cadeau à la France des deux obélisques de Louxor en gage de bonne entente et en guise de remerciement des travaux de Champollion sur le déchiffrage des hiéroglyphes. Le Luxor quitte le port de Toulon le 15 avril 1831 sous les ordres de Raymond de Verninac Saint-Maur, afin de ramener dans un premier temps un seul des deux obélisques.
C'est Champollion qui fait le choix de l'obélisque à ramener en premier, "le plus occidental, celui de droite en entrant dans le palais." "Le pyramidion a un peu souffert, il est vrai, mais le corps entier de cet obélisque est intact, et d'une admirable conservation, tandis que l'obélisque de gauche, comme je m'en suis convaincu par des fouilles, a éprouvé une grande fracture vers la base" décrit l'égyptologue pour justifier son choix.
Commence alors un périple par-delà les flots qui durera près de trois ans. Remorqué par le Sphinx, le Luxor arrive à Louxor le 14 août 1831 et s'approche au plus près du temple grâce au creusement d'un canal de 400 mètres qui permet l'embarquement du monolithe le 19 décembre 1831. Mais l'équipage doit patienter huit mois sur place et la fin de la crue du Nil pour pouvoir reprendre sa route le 18 août de l'année suivante.
En octobre 1832, nouveau problème de navigation : bloqué par des bancs de sable à l'embouchure du Nil, le Luxor doit encore attendre, jusqu'au 1er janvier 1833, avant de pouvoir repartir. Atteignant Alexandrie, la barge doit ensuite patienter jusqu'au 1er avril 1833 et la fin des tempêtes d'hiver pour reprendre son périple. Parvenu à Toulon dans la nuit du 10 au 11 mai 1833, l’obélisque atteint finalement Paris le 23 décembre de la même année, après avoir été remorqué sur la Méditerranée, avoir contourné l’Espagne, et remonté la Seine depuis Rouen.
Mais une fois arrivé en France, voilà qu'un nouveau problème se pose : alors que l'obélisque est recouvert de hiéroglyphes contant les victoires de Ramsès II, son socle d'origine est orné de seize babouins dressés sur leurs pattes arrière, laissant ainsi entrevoir leur sexe. Celui-ci est jugé indécent pour l'époque, et il est donc décidé de le remplacer par un socle plus conventionnel, tandis que le socle originel rejoint les collections du Musée du Louvre.
Le mardi 25 octobre 1836, après des années d'attente, l'Obélisque de Louxor est finalement érigé au centre de la place de la Concorde, entre l’avenue des Champs-Elysées et le Jardin des Tuileries. De fait, l'érection de l'obélisque à cet endroit met un terme aux polémiques politiques : aux origines place royale construite en hommage à Louis XV, le place devient en effet sous la Révolution française un haut lieu insurrectionnel où finissent guillotinés Louis XVI, Marie-Antoinette, Charlotte Corday, Danton, Robespierre, et bien d’autres.
Au petit matin du 25 octobre 1836, près de 200 000 Parisiens sont amassés sur la place et sur les terrasses alentour jusqu'en bas de l'avenue des Champs-Elysées. L'ingénieur Apollinaire Lebas dirige la périlleuse installation de levage qui nécessite des machines, des câbles ainsi qu'un ingénieux système de contrepoids. Durant toute l'opération, l'ingénieur reste volontairement sous l'obélisque afin de ne pas survivre en cas d'accident et ainsi éviter le déshonneur. Fort heureusement pour lui, l'opération réussit et l'obélisque s'immobilise à la verticale quelques heures plus tard.
Observant discrètement l'érection de l'obélisque depuis l'hôtel de la Marine afin de pouvoir s'éclipser discrètement en cas de chute et de destruction du monolithe, le roi Louis-Philippe apparait finalement au balcon de l'hôtel en compagnie de la famille royale et recueille longuement l'ovation de la foule. Champollion, mort en 1832, ne verra jamais l'achèvement de son œuvre.
Classé monument historique en 1936, le plus vieux monument de Paris est surmonté depuis 1998 d'un pyramidion fait de bronze et de feuilles d'or. Le second obélisque, qui ne sera jamais ramené à Paris, est finalement restitué à l'Egypte en 1981 par François Mitterand qui annonce renoncer définitivement à en prendre possession. Pour l'anecdote, Louis-Philippe offrit en 1845 une horloge en cuivre en guise de remerciement à l'Egypte. Celle-ci, qui orne désormais la citadelle du Caire, n'aurait, au dire des Cairotes, jamais fonctionné correctement, ayant été probablement endommagée lors de la livraison.
Pour en savoir plus :
Lieu
Place de la concorde
Place de la Concorde
75008 Paris 8
Plus d'informations
Iconographies:
En-tête : Érection de l'obélisque de Louqsor sur la place de la Concorde, François Dubois, Musée Carnavalet
Entrée Temple d'Amon à Louxor avec ses deux obélisques, RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Les frères Chuzeville
Vue de l'abattage de l'obélisque, dans Campagne du Luxor, Leon de Joannis, Musée national de la Marine
La corvette Sphinx remorquant la barge Louqsor au retour vers la France, L. de Joannis, Musée national de la Marine
Érection de l’Obélisque de Louxor le 25 octobre 1836, Musée national de la Marine